Vers une agriculture plus scientifique ? Les tâtonnements de l’agriculture biologique naissante

Samedi 3 novembre 2007 — Dernier ajout lundi 14 mars 2011
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Nous allons maintenant introduire aux théories et techniques agricoles proposées par Howard, Rusch, et Masanobu Fukuoka.

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L’agronomie howardienne : compostage, importance des mycorhizes, et engrais verts

Plus importantes que ses recherches d’amélioration variétales, et prioritaires à ses yeux sur celles-ci, furent ses recherches sur la fertilité du sol. Pour Sir Albert Howard, la forêt représente l’exemple concret le plus parfait du fonctionnement de la nature. Il considère que la forêt se fertilise elle-même et ne souffre d’aucune carence. Loin d’être le premier à penser ainsi, il s’inspira d’une image généraliste du fonctionnement forestier pour envisager l’agriculture [1]. Sur ce modèle, la fabrication d’humus et la dynamique du sol l’occupèrent tout spécialement. Howard travailla sur la question de l’aération et de l’humidité du sol, particulièrement en mettant au point des techniques de drainage et une technique de compostage. Sa technique de compostage, que nous présenterons dans un premier point, est devenue célèbre : elle s’enseigne et se pratique encore aujourd’hui dans différents pays, parfois avec des modifications, comme dans le cas du procédé Bangalore [2]. Nous la présenterons dans un premier point. Nous ne discuterons pas, dans ce paragraphe, l’interprétation howardienne de la forêt, ni la cohérence de son ensemble technique agricole avec ce modèle. C’est que nous considérons que cette question présente un caractère fondamental. Nous avons donc trouvé plus judicieux de la traiter dans notre quatrième et dernière partie, à la fois plus synthétique et plus spéculative. En revanche, nous allons analyser ici un aspect agronomique important de la pensée howardienne, dans la mesure où il s’agit de sa justification scientifique [3] principale du rôle de l’humus dans l’alimentation normale des plantes terrestres. Le second point de ce paragraphe portera ainsi sur le rôle central des mycorhizes chez Howard. Cependant, tout en s’inspirant de l’écosystème forestier, Howard a aussi subi l’influence de l’enseignement et de la recherche agronomique de son temps. Ces deux types d’inspirations ne convergent pas forcément. Un exemple caractéristique du manque d’articulation des deux sources réside dans la question des engrais verts, question agronomique qu’il apparaît bien difficile de relier de manière cohérence à un modèle forestier. Un aperçu des propositions howardiennes pour améliorer la gestion des engrais verts formera notre troisième et dernier point.

2Le procédé de compostage Indore2

Pour Howard, la Révolution industrielle a modifié l’équilibre de l’agriculture. En créant des « faims » nouvelles, celles des populations urbaines et celles des machines, tout en diminuant la main-d’œuvre disponible aux champs, la Révolution industrielle a renforcé l’exploitation des terres agricoles. Il faudrait ajouter que la mécanisation et la spécialisation croissantes de l’agriculture, tout en permettant une exploitation accrue des sols, ont fait diminuer le bétail et donc le fumier disponible. Liebig et d’autres ont cru que les engrais minéraux pourraient combler l’écart se creusant entre, d’un côté, l’exportation de la fertilité à travers les récoltes, et, de l’autre, la nécessaire fertilisation. D’autres ont proposé d’améliorer la gestion du fumier et d’intégrer les engrais chimiques ou d’autres innovations, tels les engrais verts ou encore les inoculations biologiques [4], en fonction de leur efficacité. Howard, quant à lui, sans ignorer les engrais verts et d’autres techniques secondaires, proposera essentiellement d’améliorer fumiers [5] et composts et de maximiser la production de ces amendements en les encourageant par des législations appropriées [6]. Tandis que Liebig et ses partisans avaient proposé une Loi de restitution basés sur les seuls éléments minéraux du sol, Howard, afin de maintenir l’équilibre entre les « deux moitiés du cycle vital » de l’agriculture [7], défendra sa « grande loi du Retour », en tenant compte non seulement des éléments du sol mais aussi des processus forestiers macroscopiques [8] et du principe oriental de la Roue de la vie. Par rapport à l’agrochimie, Howard allait chercher moins loin des produits moins transformés pour assurer la fertilisation. De même, son procédé de compostage, en innovant par rapport aux techniques traditionnelles, n’exigeait pratiquement que la connaissance paysanne ordinaire et non une formation de chimiste.

C’est entre 1924 et 1931 que Sir Albert Howard a mis au point en Inde sa méthode de compostage. Il en a donné une description détaillé dans deux livres, l’un paru en 1931, intitulé The Waste Products of Agriculture, Their Utilization as Humus, le second publié en 1940 et intitulé An Agricultural Testament. Le principe général du procédé Indore [9] consiste à récolter et mélanger les déchets végétaux et animaux de la zone cultivée et à les rassembler en tas ou en fosse avec une base destinée à neutraliser l’acidité. Il faut ensuite garder ces résidus à un degré d’humidité ressemblant à celui d’une éponge pressée, et retourner deux fois la masse. On obtient, au bout de trois mois, un compost riche et émietté, contenant des nutriments et des « organismes » essentiels à la croissance des plantes.

Fig. n° 11 – Le procédé de compostage Indore [10].

Howard reconnaissait que son procédé de compostage ressemblait aux techniques traditionnelles, en visant à favoriser ou induire l’action microbienne par l’action de l’air et de l’humidité. Une preuve évidente de la continuité du travail d’Howard avec les techniques d’amendement du passé se trouve dans le même type d’inventaire « à la Prévert » que l’on retrouve dans la liste des produits végétaux et animaux que l’agronome anglais déclarait valables pour le compost : du côté des végétaux, il y a les « paille, balle d’avoine, foin et trèfle variés, broussailles, mauvaises herbes, y compris plantes aquatiques et algues, déchets de tailles, houblon, tiges de pommes de terre, déchets de jardinage comprenant ceux des serres, des fougères, des feuilles mortes, de la sciure et des copeaux de bois. Une quantité limitée d’autres produits d’origine végétale, tels que les cosses des graines de coton, du cacao et des cacahuètes, ainsi que des tiges de bananes sont également disponibles aux environs de certaines grandes villes ». Il ajoutait que l’on cultivait en plus, dans les régions tropicales et subtropicales, des plantes « cultivées pour l’obtention de produits compostables aux bords des champs, des routes et dans chaque coin libre disponible ». Au niveau des résidus animaux, ils sont « toujours les mêmes dans le monde entier : l’urine et les excréments du bétail, la fiente des volailles, les déchets de cuisine, y compris les os ». Et là où le bétail manque, Howard invitait à utiliser des succédanés, « tels que farine de sang, déchets d’abattoirs, farine de sabots et corne, engrais de poissons, etc » [11]. Grosso modo, les matières premières du compost correspondait à tout ce que l’on pouvait trouver d’origine organique. Venons-en maintenant aux processus et organismes qui dirigent le compostage.

Howard soulignait que ce n’était pas l’action de l’homme qui faisait le compost mais celle des êtres vivants, et il rappelait que ceux-ci préparaient « l’humus idéal » sur le sol de la forêt [12], tout comme ils gouvernaient les processus du tas de compost du début à la fin. Dans les améliorations qu’il a apportées au procédé Indore, Howard s’est appuyé sur deux travaux principaux, celui du microbiologiste Selman Abraham Waksman [13], lequel insistait sur le rôle des microorganismes dans la formation d’humus et sur la bonne composition des déchets à employer, et ceux de H.-B. Hutchinson et E.-H. Richards sur le fumier artificiel. Hutchinson et Richards illustrent un aspect méconnu de la recherche agronomique « officielle », celle de l’amélioration de la gestion du fumier. Howard apprécie ces efforts, mais il reproche aux pères du procédé ADCO, mis au point au sein de la célèbre station de recherche agronomique de Rothamsted, d’avoir eu recours à des produits de synthèse pour améliorer le compostage. De plus, toujours fidèle à son double souci agronomique et socio-économique, Howard leur reproche aussi l’entrave au progrès de la recherche par la prise de brevet sur le procédé ADCO :

« Hutchinson et Richards se sont rapprochés le plus du procédé Indore, mais ils commirent deux fautes fatales : 1) l’emploi de produits chimiques comme activateurs à la place de l’urine, pour stimuler la dégradation des déchets végétaux ; et 2) les brevets pris concernant le procédé ADCO. L’urine se compose du liquide de drainage de chaque cellule et de chaque glande du corps animal, qui contient non seulement l’azote et les produits minéraux, indispensables aux champignons et aux bactéries qui dégradent la cellulose, mais encore toutes les substances de croissance accessoires. Les poudres ADCO contiennent principalement des produits chimiques fabriqués en usine et de la chaux – liants d’une valeur beaucoup moindre que les cendres de bois ou la terre utilisées dans le procédé Indore. Le procédé ADCO attire l’attention beaucoup plus sur le rendement que sur la qualité. Il introduit dans le compostage la même erreur fondamentale faite en agriculture, l’emploi de produits chimiques à la place de fumiers naturels. De plus, l’octroi d’un brevet, même si l’on n’en retire aucun bénéfice personnel, comme dans le cas présent, créé toujours des barrières pour le chercheur, qui devient l’esclave de son propre système. L’inflexibilité l’emporte sur la souplesse, chaque progrès devient alors difficile et même impossible. Le procédé ADCO a été brevetée en 1916 et est resté sans aucune modification jusqu’en 1940 » [14].

Face au procédé ADCO, Howard vante l’adaptabilité du procédé Indore aux conditions les plus variées, grâce à son recours à des matériaux naturels et à des déchets immédiatement disponibles. Bien sûr, il y a aussi, dans le point de vue howardien, une part d’idéologie biologique ou de biologisme dans le fait de dénigrer tout recours à des produits transformés par synthèse artificielle. La certitude du primat de l’action d’êtres vivants à la base des mécanismes de la fertilité tend peu ou prou, chez les fondateurs, à faire manquer de discernement sur les processus physiques et chimiques, voire même sur les processus biochimiques, en cause dans la fertilité – comme la photosynthèse. Sous cet angle, il est compréhensible que Howard se sente en retrait vis-à-vis de Hutchinson et Richards, et plus proche des travaux de Waksman sur l’humus et les microorganismes : d’une part, ces derniers n’ont pas besoin de produits issus de l’artifice humain pour réussir l’humification dans la nature, d’autre part, ils sont situés, chez Howard comme chez Rusch, à la base des processus de l’apparition de la fertilité.

Dans son principe général, l’art de la préparation du compost consiste alors seulement à procurer aux agents biologiques les conditions pour qu’ils travaillent avec la plus grande intensité, efficacité, et rapidité. Passons maintenant en revue les trois principaux points techniques à mettre en œuvre pour cela.

L’adjonction de corps basiques pour neutraliser l’acidité excédentaire :

« Pendant la fabrication de l’humus, le mélange qui fermente devient rapidement acide. L’acidité doit être neutralisée ; sinon l’activité des microorganismes ne peut pas progresser à la vitesse convenable. Une base est donc nécessaire. Là où du carbonate de calcium ou du carbonate de potassium est disponible, sous forme de calcaire pulvérisé ou de cendre de bois, ces corps seuls ou ensemble, ou mélangés avec de la terre, fournissent une base commode pour assurer la réaction générale dans les limites optima (PH 7-8) convenant aux microorganismes qui dégradent la cellulose. Là où il n’est pas possible de se procurer de la cendre de bois, du calcaire ou de la chaux, on peut employer de la terre seule. On peut utiliser également la chaux éteinte, mais elle convient moins bien que les carbonates. La chaux vive est une base beaucoup trop forte » [15].

Broyage et recherche d’une proportion carbone-azote autour de 33/1 :

Pour faciliter les processus du compostage, Howard préconisait de casser les barrières protectrices naturelles des résidus végétaux les plus durs et de rechercher un équilibre chimique des matériaux rassemblés favorables à l’attaque par les microorganismes : « Un entretien ininterrompu avec divers résidus secs pendant toute l’année, dans un état de division convenable, est le facteur essentiel de ce procédé. La composition chimique idéale de ces produits devrait être telle qu’après usage comme litière pour le bétail, la proportion carbone-azote devrait être d’environ 33/1. Le produit devrait accuser un état physique favorable à l’accès facile des champignons et des bactéries, leur permettant de dégrader les tissus rapidement. L’écorce constituant la protection naturelle de la cellulose et de la lignine contre l’invasion des champignons doit être détruite en premier lieu. C’est la raison pour laquelle tous les corps ligneux – tels que les tiges du coton et des pois chiches – sont toujours répandus, avant le compostage, sur les routes qui mènent à Indore où ils sont broyés finement par la circulation » [16].

Dans cette même perspective, et tenant compte de la difficulté à obtenir de bons résultats directement au sol par la culture des engrais verts, Howard proposait, un peu à la manière des paysans d’Orient qui semaient des plantes compostables dans les endroits disponibles non cultivés, d’utiliser « des plantes à engrais verts pour le compostage ». L’intérêt de l’ajout de cette masse riche en azote était l’amélioration du rapport C/N et donc du processus dans son ensemble : « Il a été reconnu comme extrêmement profitable pour la transformation en humus de corps pauvres en azote (comme les feuilles de la canne à sucre et les tiges de coton) de mélanger ces substances coriaces avec de la masse verte à légumineuse. La production d’humus se trouve ainsi accélérée et simplifiée, la quantité d’eau nécessaire est diminuée et la terre qui produit la masse verte en est favorablement influencée » [17].

Humidité et aération :

Il faut de l’eau pendant toute la préparation de l’humus et une aération abondante est également essentielle durant les premiers stades. Lorsque l’on utilise « trop d’eau, l’aération de la masse est entravée, la fermentation aérobie s’arrête bientôt et devient rapidement anaérobie. Quand il n’y a pas assez d’eau, l’activité des bactéries se ralentit et s’arrête ensuite. L’état idéal de l’humidité de la masse dans les premiers temps correspond à environ la moitié de sa saturation, c’est-à-dire qu’elle doit se rapprocher le plus près possible de l’état d’une éponge pressée ». Howard avait conscience de la difficulté d’un bon compostage : « Si cela semble simple, il n’est pourtant pas facile dans la pratique de maintenir simultanément le degré d’humidité et d’aération du tas de compost de telle façon que les microorganismes puissent exercer leur travail efficacement. Presque toujours, on a tendance à laisser la masse dans un état pâteux ». Howard conseillait le recours à l’eau de pluie : la « méthode la plus simple et la plus efficace pour fournir à la fois l’eau et l’oxygène consiste, là où cela est possible, dans l’emploi de l’eau de pluie, qui est saturée en oxygène ». Plus directement au niveau de l’aération, il est conseillé, en début de compostage, de tenir mécaniquement « perméable la masse en formation, afin de permettre à l’air atmosphérique d’entrer et à l’acide carbonique formé de s’échapper », par exemple en pratiquant des trous dans le tas avec un levier [18]. Howard note encore l’évolution de l’humification depuis des conditions aérobies et mycologiques vers des conditions anaérobies et bactériennes : « Après la fin de l’étape préliminaires des champignons et après que les résidus des végétaux ont été suffisamment dégradés pour être travaillés par les bactéries, la formation d’humus continue sous des conditions anaérobies ; l’aération de la masse compacte n’est alors pas nécessaire et est d’ailleurs difficilement possible » [19]. Voyons maintenant les autres aspects du compostage howardien : tas ou fosse, retournement, épandage.

Quant à la discussion du compostage en tas ou en fosse, Howard prend comme critère de discernement le dessèchement, le refroidissement, et la consommation d’eau : « Lorsque la masse en fermentation montre une propension à se dessécher ou à se refroidir trop rapidement, la production d’humus doit se faire dans des fosses plates. Il en résulte une économie considérable d’eau ; la température de la masse a tendance à rester élevée et régulière » [20]. Cependant ces avantages par rapport au tas sont à leur tour source d’inconvénients. Une fosse a bien évidemment tendance à se remplir en cas de pluies conséquentes, ce qui est le cas de la zone tropicale où Howard travailla. Du coup, il fallait prévoir des équipements supplémentaires pour ces fosses de compostage. Howard conseillait des canaux de dérivations autour des fosses pour intercepter l’eau de surface, mais aussi de couvrir les fosses avec des toits face à la mousson, ou encore de prévoir une légère pente dans un angle du fond de la fosse pour permettre un drainage, ce qui ne semblait pas évident à réaliser. Notons encore qu’Howard invitait à protéger les masses en compostage des vents dominants, qui souvent empêchent « toute fermentation sur les côtés du tas », et qu’il défendait les grands tas de compost plutôt que les petits pour mieux résister aux intempéries. Lors du chargement du tas ou des fosses, Howard invite à surveiller l’hygrométrie : une masse trop arrosée favorisera des états anaérobie, propice à l’apparition de puanteur et de mouches ; le manque d’eau entraînera la diminution de la fermentation [21].

Pour ce qui est des retournements, afin d’assurer une décomposition uniforme, Howard en préconisait deux : le premier entre la deuxième et la troisième semaine après la charge, le second environ cinq semaines après la charge, au moment de la transition du processus des champignons aux bactéries [22].

Fig. n° 12 – Couverture des fosses à compost à Gandraprara (méthode Indore) [23].

Au niveau de l’épandage, il conseillait d’épandre aussitôt et donc d’éviter de stocker le compost mûr : « Si on le laisse après mûrissement encore en tas, il faut s’attendre à ce que son efficacité diminue. Les phénomènes d’oxydation continuent. La nitrification commence et donne des nitrates facilement solubles ». Mieux vaut mettre le compost « à la banque », c’est-à-dire l’incorporer au sol. Howard considérait l’humus et les microorganismes du sol comme une partie précieuse du bétail d’une ferme : « L’humus fraîchement préparé est peut-être l’avoir principal de l’agriculteur et il faut le surveiller comme si c’était de l’argent liquide. Il contient également une partie du bétail de la plantation. Quoique ces bêtes ne puissent être observées qu’au microscope, elles réclament autant de soins et de surveillance que les porcs visibles à l’œil nu » [24].

Au terme de cette introduction au compostage Indore, ajoutons quelques mots sur la portée qu’attribuait Howard à son procédé. Contre les mystères de l’ancienne théorie de l’humus, et contre la persistance d’une mythologie du compost chez certains agriculteurs, mais aussi par défiance vis-à-vis de l’agriculture anthroposophique en particulier, signalons que, pour le père de l’agriculture organique, le compostage ne recélait aucun secret, aucune magie, ni n’était basé sur une connaissance ésotérique [25]. Au contraire, la validité du compostage Indore était considérée comme universelle par son créateur, en vertu de son adéquation proclamée à la loi naturelle : « It is because the Indore process accords with natural law that it is equally successful in whatever type of farming or gardening it is applied. […] Nature has not different laws for her tropic, semitropic, temperate, or other zones, nor different principles for this soil or that. Her adaptations vary, but her basis is one and universal » [26]. Convaincu de la rationalité et de l’universalité de sa méthode de compostage, Howard lui rêvait un avenir planétaire et la voyait comme une solution de renouveau pour l’agriculture dans son ensemble : « Si le procédé Indore peut franchir victorieusement [les] épreuves, il deviendra bientôt la trame de la pratique agricole. Ainsi, il durera et atteindra son but, celui de la restauration des droits de fumure de notre planète » [27]. Cependant Howard savait que l’influence culturelle déterminante de la science sur l’évolution de l’Occident lui imposait de trouver d’autres arguments pour promouvoir son compostage, au-delà du seul constat empirique de son efficacité sur les récoltes et le bétail. Dans cette optique, Howard a cherché à comprendre analytiquement pourquoi l’entretien du taux d’humus des sols était efficace sur l’état sanitaire des plantes. C’est en étudiant les mycorhizes qu’il a cru découvrir la réponse.

2L’importance des mycorhizes2

Le leitmotiv de l’agriculture howardienne c’est l’importance de l’humus pour la santé et la productivité des végétaux. Son souci de défendre scientifiquement sa thèse passait par la mise en avant de travaux détaillés permettant d’étayer le lien positif humus-plantes. Les travaux les plus significatifs qu’il pensait avoir trouvé concernaient les mycorhizes, auxquelles il fait régulièrement allusion dans son œuvre : : « Pourquoi l’humus est-il un organisme tellement important pour le maintien de la santé des plantes ? Les mycorhizes nous indiquent la voie » [28]. S’appuyant sur les recherches des Dr Rayner et Levisohn, menées en 1938, Howard admettait que les mycorhizes ne concernaient pas « une plante forestière définie ». Au contraire, les mycorhizes existent « sur la plupart, sinon sur toutes les plantes cultivées » [29]. Aujourd’hui, les thèses sur la diffusion importante des mycorhizes dans le règne végétal sont confirmées. Jean Usse, l’auteur de la première traduction française, en 1970, de An Agricultural Testament, notait déjà que des observations au microscope électronique avaient révélé l’existence de mycorhizes aussi chez les céréales [30]. Mais les recherches plus récentes ont prouvé que les champignons mycorhizes sont en symbiose avec 90 % des espèces végétales [31]. D’autres études ont montré que les conifères sauvages étaient toujours mycorhizés, tandis que, sur 6507 espèces d’angiospermes étudiés, on en dénombre 70 % régulièrement mycorhizés et 12 % occasionnellement. [32]

Mais comment Howard considérait-il exactement les mycorhizes ? L’agronome père du mouvement organique mondial pressentait, dès avant la seconde guerre mondiale, qu’il s’agissait d’un cas de symbiose : « Nous sommes vraisemblablement ici en présence d’un exemple sérieux de symbiose dans laquelle certains champignons du sol relient l’humus du sol directement aux racines des plantes cultivées. Le mycélium peut contenir jusqu’à 100 % de matières protéiques, digérées dans les racines et transportées ensuite par le courant de [sève] dans les feuilles vertes, à l’endroit où s’opère l’assimilation chlorophyllienne. ». Howard affirmait aussitôt que « L’existence d’une symbiose mycorhizienne efficace des racines est une condition essentielle de leur santé ; quand elle manque, la résistance envers les maladies diminue » [33]. Il est légitime de se demander si Howard n’abusait pas sur le terme « symbiose ». En effet, ce qu’il nous dit des mycorhizes dans le Testament agricole ou bien dans Agriculture et jardinage pour la santé ou la maladie, c’est qu’il s’agit d’un pont vivant entre l’humus et les plantes. Nous avons bien compris qu’il se sert des mycorhizes pour critiquer l’idée de la nutrition minérale directe des plantes et orienter l’agronomie vers la vie du sol. Mais sa vision du mycélium mycorhizien est-elle vraiment symbiotique ? Stricto sensu, comme Le Robert l’indique, la définition de la symbiose implique le mutualisme : « Association durable et réciproquement profitable entre deux organismes vivants ». Que gagne le champignon du sol au contact ou dans l’investigation des racines des plantes ? Howard a constaté que, dans le cas des endomycorhizes, lorsqu’il y a envahissement des cellules des racines par les filaments de mycélium [34], il se passe un temps après lequel le mycélium est digéré. Dans Agriculture et jardinage pour la santé ou la maladie, il rapporte qu’il a vu les photos prises par un certains Dr Rogers sur ce sujet dans les années 1930, où l’on peut se rendre compte des étapes entières du processus, depuis la pénétration des cellules jusqu’à la digestion complète des filaments. Mais nulle part Howard ne tente d’expliquer plus avant le processus. Il attend de nouvelles analyses pour comprendre : « L’explication scientifique complète de l’activité de ce remarquable exemple de symbiose doit encore être donnée. Il semble que la nature nous ait fourni, avec les mycorhizes, un mécanisme qui est beaucoup plus important et plus répandu que les nodosités des légumineuses » [35]. Effectivement, des recherches plus récentes proposent des explications des mécanismes réciproques entre mycorhizes et plantes [36].

Pour s’acheminer vers une conclusion quant à la perception howardienne des associations mycorhiziennes, il faut encore souligner qu’il attribuait à cette connexion intime des plantes et de la vie du sol le statut d’une preuve scientifique de l’importance de l’humus pour la santé des végétaux.

Cependant, il ne souligne pas assez, sans doute parce que le fait est devenu une évidence pour lui, que l’apport ou la présence d’humus dans les sols favorise le développement des mycorhizes. Il l’affirme néanmoins à propos d’expérience sur la culture comparée de cannes à sucre avec humus ou engrais minéraux [37], et plus généralement dans le chapitre où il regroupe ses critiques de l’agronomie dominante [38]. Quoiqu’il en soit, il s’appuie toujours sur de multiples expériences, en Inde et un peu partout dans le monde, pour insister sur le caractère bénéfique de l’humus. Il mentionne aussi une expérience plus personnelle. Dans un jardin qu’il avait acquis en 1934, il entreprit avec succès de régénérer des pommiers [39] uniquement par « une augmentation progressive de la teneur en humus du sol » : « En trois ans, les parasites avaient disparu, les arbres étaient complètement changés. Le feuillage et le bois ne laissent plus rien à désirer. La qualité des fruits est excellente » [40]. Pour vérifier encore ces résultats, Howard prévoyait de faire subir à ses arbres des tests de résistance aux organismes pathogènes, soulignant sa préférence pour des analyses au niveau des plantes cultivées plutôt qu’au niveau du sol : « Ces arbres seront maintenant soumis à des expériences sur l’infection pour déterminer si la fertilité est entièrement rétablie ou non. Le comportement des arbres, en répondant aux différents agents pathogènes, établira ce fait. Aucun examen du sol ne peut me renseigner mieux que les arbres eux-mêmes » [41].

Finalement, convaincu qu’il détient dans les mycorhizes la preuve de l’efficacité humique, Sir Albert Howard peut croire être parvenu à remplir une partie de la mission qu’il s’était assigné, à savoir apporter des justifications scientifiques à la rationalité des pratiques paysannes les mieux établies :

« D’un coup, l’expérience ancestrale des cultivateurs concernant l’importance de l’humus s’accorde avec la science. Toujours il existait chez les meilleurs fermiers une réserve intime sur la valeur des engrais minéraux comparée au fumier de ferme du bon vieux temps. L’action de ces deux [fumures] sur sol et plante n’est jamais identique. Il existe en outre une certitude croissante que l’augmentation des maladies des plantes et des animaux correspond d’une façon quelconque à l’application des engrais artificiels. Dans le bon vieux temps de l’agriculture mixte, le pulvérisateur était inconnu, les dommages occasionnés par des épidémies comme la fièvre aphteuse n’étaient aucunement comparables à ceux d’aujourd’hui. La cause de ces différences, la symbiose mycorhizienne, a existé de tout temps. Elle n’a pas été reconnue parce que les stations d’essais suivaient aveuglément la mode introduite par Liebig et Rothamsted, ne pensaient qu’aux éléments fertilisants et oublièrent de contrôler de quelle manière la plante et le sol sont couplés. On cherchait à résoudre scientifiquement un problème biologique sur la base d’observations et d’expériences insuffisantes » [42].

Howard était satisfait d’avoir découvert, dans les associations mycorhiziennes, un phénomène biologique prouvant l’importance de l’humus dans la santé et la productivité des plantes. Si l’on ajoutait le rôle structurant de l’humus dans les sols [43], la preuve était faite de la supériorité de son approche globale et biologique sur l’approche réductrice et chimique selon la « mentalité NPK ». D’un autre côté, des recherches avaient montré que certaines plantes pouvaient « fixer » dans le sol de l’azote atmosphérique. Comme chez Masanobu Fukuoka, on constate que Albert Howard base l’ensemble de sa méthode sur une vision unitaire de la nature, incarnée par la forêt. Cependant, tous les deux ont aussi appris, dans leurs études ou par la tradition paysanne, la technique des engrais verts. Mais ni l’un ni l’autre ne purent intégrer cette propriété botanique particulière dans leur philosophie de la nature. Quoiqu’il en soit, malgré ce hiatus, tous les deux firent du recours aux légumineuses un élément complémentaire et significatif de leur pratique agricole. Howard a même travaillé à améliorer la gestion des engrais verts.

2Aperçu sur le travail howardien consacré aux engrais verts2

Après que Schultz-Lupitz ait, vers 1880, « démontré comment les sols ouverts et sableux de l’Allemagne du Nord peuvent voir leur structure et leur fertilité améliorées en enterrant les engrais verts du lupin », et après les travaux d’Hellriegel et Willfahrt, Howard note que cette question a été beaucoup étudiée par les stations de recherche agronomique. Selon Howard, la recherche dominante a tourné autour de l’augmentation dans le sol « de l’azote fixé et de la substance organique ». Mais, pour l’agronome anglais, les espoirs placés dans cette découverte et les techniques culturales associées étaient exagérés : « A la fin du XIXe siècle, il sembla très facile de résoudre d’un coup, en enterrant les légumineuses d’une façon très économique, le grand problème du maintien de la fertilité du sol. Avec très peu de peine, les nodosités devaient servir d’usine à azote et le reste de la plante de source d’humus. Tout cela pouvait être réalisé à peu de frais et sans inconvénients sérieux pour les produits cultivés. Ces espérances, héritage naturel de la mentalité NPK, ont provoqué d’innombrables essais avec les engrais verts dans le monde entier, sur pratiquement toutes les espèces de légumineuses. Dans certains cas, surtout dans un sol ouvert, bien aéré, où, après les labours, la pluie se trouvait bien répartie et où l’on disposait d’un temps suffisant pour la décomposition, les résultats ont été satisfaisants. Mais, dans la plupart des cas, ils ont été décevants » [44]. Howard considère que les bons résultats des allemands, et de Shultz-Lupitz en particulier, ont été obtenus parce que tous les facteurs leur étaient favorables. La méthode ne serait pas reproductible telle quelle sous d’autres climats. Avec les mêmes objectifs, à savoir la fertilisation azotée et la fonction piège à nitrates, d’une part, et l’augmentation du taux de matière organique des sols [45], d’autre part, Howard entreprit d’autres recherches sur les engrais verts, en identifiant quatre facteurs ou axes principaux de travail : la connaissance du cycle de l’azote en rapport avec l’agriculture locale ; les conditions nécessaires pour le développement rapide de nombreuses nodosités sur les racines des légumineuses utilisées ; la composition chimique de la masse verte au moment de l’enfouissement ; les conditions du sol pendant la période de décomposition [46].

Selon Howard, il faut d’abord connaître « à quelle saison l’accumulation des nitrates s’opère dans le sol, comment ces accumulations s’intègrent dans les dispositions de culture locale et à quel moment les nitrates sont exposés à la perte par lessivage ou d’autres raisons ». Sur la deuxième question, Howard rapporte l’observation de son collègue Clarke, à Shajampur aux Indes, selon laquelle il est « avantageux d’apporter une petite quantité de fumier de ferme au sol, juste avant les semailles, ce qui provoque un accroissement considérable de la croissance et de la formation des nodosités de la plante fournissant l’engrais vert » [47]. Quand à la composition chimique de l’engrais vert, Howard propose un tableau de chiffres montrant que celle-ci varie « beaucoup avec la croissance » : « On obtient ainsi des résultats très différents en apportant aux microorganismes la matière provenant de plantes jeunes ou muries. Waksman et Tenney ont indiqué les résultats de la décomposition d’un engrais vert typique, récolté à des périodes différentes (seigle). Les plantes jeunes se décomposent beaucoup plus lentement. Elles contiennent une quantité insuffisante d’azote pour la décomposition et les microorganismes du sol doivent prélever une partie des nitrates du sol pour couvrir leurs besoins. Au lieu d’enrichir le sol avec de l’azote assimilable, la décomposition des engrais verts provoque un appauvrissement momentané » [48]. Sur l’autre versant de l’intérêt des engrais verts, celui de la production d’humus, Howard note que des plantes portées à maturité en produiront plus. Enfin, le quatrième point dont il faut tenir compte pour obtenir du succès avec les engrais verts est l’état du sol. Les microorganismes qui dégradent l’engrais vert ont besoin de beaucoup de facteurs auxiliaires collaborant ensemble : suffisamment d’azote et de minéraux, de l’humidité, de l’air, une température convenable. L’essentiel de la perspective d’Howard sur ce point consiste à souligner que les engrais verts fonctionnent mieux sur un sol fertile ou avec un apport couplé d’humus [49]. Dans un sol pauvre l’efficacité des engrais verts est plus incertaine et la culture suivante peut en pâtir. La discussion technique suivante, principalement autour de la forme de l’azote du sol, en rend compte : « Le facteur qui provoque souvent des perturbations est la pénurie du sol en azote fixé et en matière minérale. Il s’ensuit que l’engrais vert mûr influencera toujours différemment la culture suivante en fonction de la fertilité du sol. Dans les sols pauvres, la majeure partie de l’azote fixé disponible est bloqué pendant la dégradation de l’engrais vert. La culture suivante souffrira donc d’un manque et l’engrais vert aura, par conséquent, un mauvais effet momentané. Si, par contre, le sol est fertile, ou bien si nous enfouissons simultanément de l’humus fraîchement préparé, l’azote supplémentaire indispensable pour la décomposition sera présent et le produit suivant ne sera pas désavantagé » [50].

Du côté de la production d’humus par les engrais verts, Howard en souligne la difficulté. Mais comme les facteurs « qui agissent dans le sol sur les engrais verts sont les mêmes que dans le tas de compost » la réflexion peut dégager les difficultés à surmonter sur ce modèle. Elles tiennent essentiellement à l’air et à l’humidité. Des pluies exagérées après l’enfouissement ou bien un enfouissement trop profond génèrent des conditions anaérobies préjudiciables : une flore anaérobie se développe et « s’approvisionne en oxygène à partir du substrat » fourni par l’agriculteur. De plus, les « protides précieux sont attaqués et leur azote s’échappe comme gaz ». Ce type de conditions après l’enfouissement génère des processus chimiques semblables à ceux des tourbières. Avec la mousson, l’agriculture tropicale rencontre ainsi, souvent, avec les engrais verts, un résultat peu satisfaisant [51].

Finalement Howard n’insiste pas plus sur les engrais verts. Mais il en revient à « la Nature » pour voir comment celle-ci s’arrange avec les nitrates. Il notent que des algues à la surface du sol ou des mauvaises herbes peuvent les bloquer : « Apparemment, il n’y a aucune nécessité de semer une légumineuse, quand la Nature s’en acquitte elle-même beaucoup mieux, si les mauvaises herbes qui surgissent peuvent être traitées de sorte qu’elles utilisent toutes les accumulations de nitrates et que la matière végétale formée peut être enfouie à temps et décomposée avant la culture suivante ». Howard rapporte ainsi le cas exemplaire d’un producteur de houblon du Sussex qui semait un peu de moutarde dans le houblon, après la formation de celui-ci en ombelle. Le sol, déjà propice au mouron, formait un tapis vert sans entraver le mûrissement du houblon. Après la récolte, les moutons pâturent la moutarde. Au printemps suivant, le mouron est enfoui par labour. Howard trouvait que cet « emploi d’une mauvaise herbe commune pour régulariser la teneur du sol en azote » était une « idée géniale » car il lui semblait « difficile de trouver un engrais vert plus efficace que le mouron fourni gratuitement par la Nature » [52]. Notons que ce énième retour à la Nature pour penser l’agriculture ne passe pas par la figure de la forêt. Les engrais verts apparaissent en décalage avec le thème howardien de la référence à un système naturel cohérent et unifié de la fertilité. Dans son Testament agricole, on peut trouver un indice de cette incertitude d’Howard sur la place des engrais verts dans la loi naturelle, en remarquant, d’une part, que cette question comporte trois entrées nettement séparées dans la table des matières, et, d’autre part, qu’il présente ses résultats les plus significatifs sur cet aspect dans un chapitre portant sur l’amélioration de sa méthode de compostage [53]. Avouons que le rapprochement des engrais verts et du compostage semble bien empirique, dépendant purement de la technique de compostage, à travers l’amélioration du ratio C/N. Pour finir, et à la décharge d’Howard sur ce point-là, rapportons que Gilles Lemieux exprime des doutes, du point de vue d’une réflexion sur l’évolution, quant à la signification de la fixation de l’azote atmosphérique par les légumineuses. Lui non plus n’est pas sûr que cette propriété de certains végétaux soit intégrable dans une compréhension unifiée du fonctionnement spontané des écosystèmes. Il émet l’hypothèse que cette propriété puisse être une émergence adaptative des plantes face à la dégradation agricole des sols forestiers [54].

En conclusion générale sur le système agricole howardien, on peut avancer que celui-ci résume presqu’à lui seul le canon originel et traditionnel de l’agrobiologie : attention à l’humus et à la vie du sol, importance centrale du compostage et des engrais verts. Les critiques, les compléments, et les améliorations qui viendront par la suite ne remettront jamais en cause le souci fondateur de l’humus et de la vie du sol pour promouvoir une fertilité et une qualité optimale et durable en agriculture. Mais les moyens à mettre en œuvre pour satisfaire se souci vont tout de même évoluer significativement. Après cette introduction aux points essentiels de l’agriculture biologique d’après Howard, nous allons porter notre attention sur une conception agronomique nettement plus théorique, mais aussi exemplaire des variations de méthode en agrobiologie, celle d’Hans Peter Rusch. Bien que centrée sur une compréhension originale de la biologie globale, cette approche a néanmoins participé de la préparation d’une petite révolution pratique en agriculture, en invitant à l’abandon des tas de fumier et autres composts, ainsi qu’en orientant les travaux culturaux vers des interventions minimales sur les sols.

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Hans Peter Rusch : la théorie du cycle de la substance vivante et la critique du compostage

Au cœur de l’approche d’Hans Peter Rusch, omniprésente dans son dernier ouvrage, La fécondité du sol, il y a l’idée d’un cycle d’éléments vivants ultimes. D’une manière générale, nous allons d’abord préciser et critiquer ce postulat ruschien. Dans un second temps, nous éclairerons un apport vraisemblablement plus durable de l’œuvre de Rusch, la critique du compostage et l’orientation de la réflexion agronomique en direction d’un travail simplifié des sols agricoles. Cependant, devant la difficulté propre au travail ruschien, il est nécessaire de préciser un peu plus notre exposé. La théorie du cycle de la substance vivante est une approche originale d’Hans Peter Rusch. Ceci ne veut pas dire que l’on ne puisse pas trouver des approches nourries de la même inspiration dans la littérature. En particulier, la notion de cycle a connu de multiples déclinaisons, que ce soit chez les chimistes, avec notamment le cycle de l’azote, ou dans des conceptions de gestion urbaine, en particulier au XIXe siècle, au niveau de la gestion et du recyclage de matières de toutes sortes [55], ou encore et plus généralement en écologie, avec la notion de cycles géochimiques chez Vernadsky [56], par exemple. Mais Rusch a donné un contenu bien particulier à l’idée de cycles biologiques. Après avoir esquissé cette théorie, puis rappelé son décalage vis-à-vis des conceptions scientifiques admises en biologie dès la fin des années 1950, nous introduirons à sa déclinaison complexe au niveau du sol, avant de terminer sur les recommandations pratiques aux agriculteurs qu’elle a nourris.

2La substance vivante et son cycle2

Rusch a défendu une « loi du maintien de la substance vivante » en s’appuyant notamment sur une interprétation de Wladimir Vernadsky. Il a adopté l’idée d’un cycle « fermé » des substances vivantes, « capable d’un équilibre stable » [57]. Dans cette perspective, ni la notion de « substance », ni la thèse d’une stabilité historique globale de la quantité de vie ne sont solidement établies scientifiquement. Du côté de l’idée du maintien transhistorique de la biomasse on se trouve plutôt en porte-à-faux et avec un trait général de l’évolutionnisme, et avec le projet agricole même d’un accroissement de la nourriture disponible pour la population mondiale.

Du côté de la thèse de Vernadsky qui aurait inspiré à Rusch sa « loi du maintien de la substance vivante », celle de la stabilité de la quantité de vie au cours de l’évolution [58], un ensemble d’interrogations émerge : si la masse globale de matière vivante n’a presque pas changé au cours des temps géologiques, peut-on en dire autant à l’échelle de l’histoire de l’humanité ? Avons-nous assez de recul ? La vie n’a-t-elle pas originellement augmenté quantitativement – mais aussi qualitativement - dans les océans puis sur la terre ferme ? D’autre part, le développement de l’agriculture n’a-t-il pas pour but, particulièrement, l’accroissement des aliments disponibles, et donc celui de la quantité de matière vivante ? Finalement, on peut se demander si la thèse de la stabilité de la biomasse globale est exacte. Plus profondément, une telle thèse ne contredit-elle pas une dimension essentielle et évidente de la vie, à savoir que la vie est féconde, qu’elle se multiplie ? Cette évidence est d’ailleurs à la base de l’agriculture , en tant que l’agriculteur cherche à cultiver, à accompagner un phénomène biologique spontanément généreux. L’agriculture fonde ainsi son progrès et son développement [59] sur la nature prolifique qui nous est donnée [60]. Hans Peter Rusch était peut-être, ainsi, en situation bancale avec les agriculteurs biologiques, pour qui, plus que le maintien, l’accroissement des récoltes, et donc de la fertilité du sol, est un des premiers soucis [61]. Comme nous l’évoquions dans les premiers développements que nous avons consacrés à Rusch dans ce travail, sa compréhension élémentaire de la signification de « La fécondité du sol » semble déjà poser un problème, pour ainsi dire préliminaire.

En ce qui concerne maintenant la notion de substance, Rusch a repris des éléments du travail de Vernadsky via sa réception par le philosophe Adolf Meyer-Abich [62]. Or, ce dernier a traduit, de façon quelque peu ambiguë, l’expression vernadskyenne de « matière vivante » par celle de « substance vivante » [63]. Disons d’abord un mot sur cette ambiguïté. Les mots « matière » et « substance » n’ont pas la même portée. Le premier est très général alors que le second est beaucoup plus spécifique et fait plus facilement penser à une « chose », que l’on pourrait caractériser. On peut alors comprendre que Rusch se soit engagé dans des recherches sur les formes saines et les formes malades des substances vivantes. Dans cette logique, toujours selon Rusch, la substance vivante circulerait en un cycle, sous forme saine ou malade, entre le sol, les plantes, l’animal, et l’homme. Cependant, le travail de Vernadsky n’invite pas forcément, loin s’en faut, à rechercher dans une direction aussi particulière. Dans d’autres traductions, on se rend compte que Vernadsky parle de la « matière vivante » et de la « presque invariabilité » de la « masse » de celle-ci au cours des temps géologiques. Il s’agit d’une approche plus générique qui ne tend pas à faire du phénomène de la vie une « chose » ou une « substance ». L’approche de Vernadsky apparaît, ainsi, plus proche du concept contemporain de « biomasse » [64]. Mais revenons au texte ruschien. Son idée originale essentielle est qu’une partie du vivant ne se décomposerait jamais : « Nous […] avons, depuis 1951 (en collaboration avec E. Santo) fait des recherches approfondies […] qui nous ont conduits à la « loi de la conservation de substance vivante » ; nous ignorions alors que le philosophe Meyerabich avait, presque en même temps, et par une démarche purement philosophique, formulé une loi semblable. Nous estimions déjà, à cette époque, que la nature ne se permet en aucun cas le luxe de laisser se décomposer sans raison les substances élémentaires de la vie après la mort des organismes, des tissus et des cellules, ou, comme disent les chimistes, de les laisser se « minéraliser ». Considérer une décomposition systématique, une minéralisation totale de la substance vivante comme un processus normal serait absurde » [65]. Rusch trouvait « inimaginable » que tout le vivant puisse se décomposer et ne voyait pas pourquoi admettre une telle explication en biologie. Il imaginait au contraire l’existence de sortes d’atomes du vivant, de niveau infra-cellulaire, ne se décomposant jamais et circulant entre les différentes stations d’un cycle général de la biosphère [66]. Il postulait aussi que ce niveau de réalité biologique serait apparu avant les cellules et serait doté d’une certaine autonomie : « On arrive à cette conclusion, à savoir que les substances vivantes sont capables, sous des formes nouvelles, et sans la protection que leur offre la cellule, d’une vie extracellulaire, dans l’état primitif qui était le leur avant que les cellules apparaissent sur la terre » [67]. Les substances vivantes formeraient le « métabolisme originel » et « héréditaire » [68]. Sous sa forme normale, originelle et saine, ce cycle serait le cycle de la fécondité. Des atteintes et des dégradations expliquerait la dégénérescence de certaines substances en éléments pathogènes, tels les virus, entraînant des problèmes à tous les stades du cycle. C’est pourquoi Hans Peter Rusch partage une tendance très profonde à ne considérer qu’une alternative stricte entre santé globale ou maladie. Chez le médecin et microbiologiste d’Herborn, il n’y a guère de place pour l’idée de degré dans la santé.

Ceci étant dit, il est nécessaire à présent de confronter la théorie ruschienne avec la théorie biologique acceptée à peu près à la même époque Ce n’est pas du côté de la théorie de l’évolution, ni du côté de l’écologie, malgré la référence abusive à Vernadsky et le recours à l’idée de cycle, qu’il faut tourner nos regard pour esquisser une évaluation du principe central de la biologie selon Hans Peter Rusch. En spéculant sur des sortes d’éléments atomiques déterminant la dynamique du vivant, l’approche biologique de Rusch se situe plus du côté des explications infra-organiques de la biologie moléculaire que des théories éthologiques ou écologiques, lesquelles comprennent d’abord le vivant à l’échelle des organismes et de leur relations aux milieux naturels.

Nous avons dit que la substance vivante pouvait dégénérer en virus. Techniquement parlant, Rusch présentait les substances vivantes comme les équivalents « sains » des virus. Cependant, du point de vue du champ scientifique biochimique, et de sa spécialité de biologiste cellulaire plus précisément, il n’était guère évident de comprendre, dans la plupart de ses publications, ce qu’il entendait plus précisément par « substance vivante » : sur le sujet, les exposés de Rusch « se limitaient à de vagues considérations générales » [69] telles celles que nous venons d’exposer. Il s’appuyait sur diverses sources pour légitimer l’existence et l’usage de la catégorie de substance vivante, tel Vernadsky, mais aussi sur les développements de la biologie moléculaire des années 1950. Mais, en accord avec Gunter Vogt, en raison des rares citations scientifiques précises faites par Rusch, seule une reconstruction fragmentaire des origines de son concept de substance vivante est possible.

Quoi qu’il en soit, la « substance vivante » sera une conception écartée du champ scientifique dès la fin des années 1950, lorsque l’explication des échanges biochimiques dans la cellule fut donnée de manière satisfaisante. Pour cette mise à l’écart, trois arguments principaux ont étés avancés. Ils auraient dû pousser Rusch à corriger ou abandonner son concept [70]. Premièrement, les molécules et organelles cellulaires caractérisées par Rusch comme substance vivante ne sont pas stables, mais, au contraire, elles sont construites puis détruites dans le processus naturel. Deuxièmement, les scientifiques se seraient fortement opposés à l’idée d’une plasticité du vivant, au moins au niveau infra-cellulaire : les chromosomes, virus, mitochondries, ayant des structures biochimiques différentes, toute mutation d’une forme à l’autre serait exclue. Troisièmement, le « corps humus » ne serait pas un assemblage de ces « composantes cellulaires » que Rusch assimilait à la substance vivante. En conclusion, Rusch sera critiqué comme proposant des idées vraisemblables, voire fascinantes, mais dénuées d’une base solide fondée sur des expériences chiffrées. Au pire, ses idées seront ravalées au rang des songes creux ou de la simple idéologie. Cependant, quelques années auparavant, à la fin des années 1940, lors de la naissance du concept ruschien, un rejet clair et global, de la part de la communauté scientifique, n’eut pas été possible. En effet, ce n’est qu’au cours des années 1950, que, d’un côté, la biologie moléculaire expliqua la substance héréditaire et les processus de l’hérédité, et que, de l’autre, la biologie cellulaire expliqua l’élaboration et la fonction des organelles cellulaires. Néanmoins, du fait que la destruction des molécules organiques et la composition biochimique de l’humus étaient connues à l’époque, il apparaît que le concept de substance vivante était d’emblée un « concept très spéculatif » [71]. Mais la question fondamentale de Rusch, celle de l’essence même de la vie, demeure sans réponse jusqu’à aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, ce médecin « a maintenu contre vents et marées sa théorie du cycle de la substance vivante ». Selon Johannes Pain, face aux critiques scientifiques, il aurait seulement relativisé la portée de sa théorie, en réduisant la substance vivante à un « principe spirituel de la fertilité et de la santé » [72]. Notre étude n’a pas permis de confirmer cette éventuelle relativisation. Dans La fécondité du sol, la substance vivante demeure le concept clef de bout en bout. Venons-en maintenant au rôle du sol dans la théorie ruschienne.

2Le sol, stade clef du cycle de la substance vivante2

Si l’on se penche maintenant sur l’articulation de sa théorie avec la question du sol, on découvre que cette question est subsumée sous la thèse de la substance vivante et de son cycle. L’approche ruschienne du sol est dépendante de l’idée de substance vivante dans la mesure où l’humus, défini singulièrement, comme nous allons le voir, serait un « lieu de stockage de la substance vivante » : soigner l’humus serait un objectif clef pour atteindre à la santé dans la nature [73]. Quand à l’idée du cycle de la substance, on se rend compte, parallèlement, qu’elle transforme même l’idée traditionnelle de la fertilité de la terre : « La fécondité des êtres vivants n’est pas basée sur la fertilité du sol et ne trouve pas son origine dans ce dernier : elle forme un cycle qui sera toujours recommencé, aussi longtemps que la vie existera sur la terre ». D’une question botanique et pédologique, la fertilité du sol se transforme en la question générale et spéculative la fertilité en tant que phénomène traversant les différentes espèces d’êtres vivants, indépendamment de leurs places respectives dans l’apparition et l’évolution de la vie sur Terre. Redisons-le, chez Hans Peter Rusch, le sol n’est qu’un lieu d’accumulation de la substance vivante, pas une étape nécessaire de l’installation d’une biodiversité et d’une biomasse abondante au sein de la biosphère terrestre. Le sol ne jouerait ainsi un rôle particulier « que dans la mesure où tous les organismes, qui finalement tirent tous leur subsistance de lui, lui rendent également leur substance » [74]. Ajoutons ici que l’affirmation du sol d’où tout vient est limite, en raison du phénomène biologique fondamental de la photosynthèse. Mais passons encore et voyons maintenant comment l’ auteur aborde le sol en lui-même, puis comment il entend en évaluer la fertilité.

3L’humus-processus et la structure grumeleuse cellulaire3

Hans Peter Rusch s’intéresse particulièrement à la couche supérieure du sol, qu’il nomme « structure grumeleuse microbienne ou cellulaire » [75]. Il reprend les observations de Raoul Francé et Franz Sekera sur celle-ci : « La transformation intensive des masses organiques conduit à la formation, en quantité considérables, de colonies microbiennes dans la couche supérieure du sol, c’est-à-dire dans les 5 à 8 premiers centimètres. […] les filaments de champignons présents dans un gramme de terre, mis bout à bout, arriveraient à une longueur de 100 mètres ou davantage ; nous savons que le nombre de cellules microbiennes dans un gramme de terre peut atteindre plusieurs centaines de millions et même plusieurs milliards » [76].

Figure n° 13 – Le sol selon H.-P. Rusch [77].

L’étude de cette structure grumeleuse prend chez lui la place occupée par l’humus chez les autres fondateurs. Le « corps » humus est transformé en un processus. Il dit suivre F. Caspari sur ce point : « l’humus n’est pas une matière mais un processus ; en termes microbiologiques, on peut dire que l’humus est le pouvoir biologique et fonctionnel des substances vivantes du sol d’organiser les déchets des êtres vivants en vue d’une nouvelle harmonie » [78]. Et la structure grumeleuse serait l’expression de la dynamique de la substance vivante. La structure grumeleuse se subdiviserait en « structure cellulaire » et « structure plasmatique » ou « structure grumeleuse macromoléculaire stable » [79], la seconde étant un produit de la première [80]. C’est ce niveau macromoléculaire ultime que désigne l’humus chez Rusch :

« D’un point de vue biologique, les substances organiques atteignent dans les structures plasmatiques leur forme la plus simple, les substances intervenant dans les cycles biologiques abandonnant toute organisation spécifique. Elles perdent toutes les qualités qu’elles avaient acquises par leur incorporation dans des cellules et des tissus. On trouve là des forces de liaison extrêmement puissantes, qui sont capables de maintenir l’essaim d’ions comme « l’essaim » de substances vivantes, mais on ne trouve plus d’organe protecteur, ni de paroi cellulaire, ni de membranes, ni de concentration de substances héréditaires. Il se forme un tissu vivant primitif, une forme originelle faite d’une congrégation de substances minérales, organiques et vivantes, sans agencement particulier, comparables à ceux que l’on trouve dans les organismes, avec un liquide tissulaire rempli d’anions et de cations. C’est cela seulement que l’on devrait appeler « humus », dans la mesure où il s’agit d’une « substance » ; on peut dire, dans cet ordre d’idées, que l’humus est le tissu le plus primitif qui existe, un tissu dont la plante vit  » [81].

Fig. n° 14 – Plante et sol selon H.-P. Rusch [82].

Ainsi, cette approche compliquée est au service d’une thèse sur le primat de l’organique dans la nutrition végétale [83]. Mi-processus, mi-substance, l’humus est finalement aussi « le principe fondamental de la nutrition » végétale : « Mais si la substance vivante joue un rôle, sous la forme de l’humus (le mot « humus » n’a pas d’autre signification pour nous et il traduit le concept de « force originelle » de nos aïeux) les échanges minéraux deviennent secondaires, car on ne peut soutenir que les molécules organiques sont subordonnées aux molécules inorganiques. En conséquence, il faut admettre que les échanges macromoléculaires constituent le principe fondamental de la nutrition ; en d’autres termes il faut élaborer une nouvelle méthode agricole, fondamentalement différente, basée sur le concept du cycle des substances vivantes » [84].

On notera par ailleurs que la pédofaune produirait la structure grumeleuse cellulaire et donc la structure plasmatique fondamentale, en décomposant la matière organique apportée au sol. Rusch affirme qu’une diversité et quantité maximale de la vie du sol serait souhaitable. Il en « déduit » aussi que la fumure organique devrait être aussi variée que possible : « Pour l’agriculteur biologique, cela a la signification suivante : une nourriture du sol variée, une large gamme de matières organiques, permet le développement d’une communauté de travailleurs microbiens constituée de spécialistes variés ; cela garantit que les matériaux résultant de leur activité, qui constituent la nourriture des plantes, sont très variés et fournissent aux plantes une large gamme d’aliments spécifiques » [85]. Sans trop savoir sur quel critère, l’optimum devant être trouvé sur chaque sol, il faudrait aussi apporter ni « trop » ni « trop peu d’engrais organiques » [86]. Mais avant d’aller plus loin sur les recommandations pratiques ruschiennes, il nous faut présenter les principes du test de sol qu’il a mis au point.

3Le comptage cellulaire : vers une évaluation quantitative simple de la fertilité ?3

Comme nous l’avons dit, Rusch fait une distinction dans les horizons biologiques du sol. Sous le niveau de la surface proprement dite, où il localise la couverture du sol et de petits animaux, il situe la zone à structure grumeleuse microbienne. Celle-ci serait un niveau de préparation végétale où agissent différentes « cellules », tels que des actinomycètes, des bactéries, des champignons, etc… Pour donner une image de la limite de cet horizon, Rusch propose un schéma de sol en coupe où il a dessiné également une plante [87] : entre la surface et la couverture du sol, d’une part, et le niveau inférieur où la tige de la plante développe son chevelu racinaire, se situerait la zone cellulaire ou microbienne. Au niveau de la structure grumeleuse cellulaire, la plante ne ferait pas de racines. La structure grumeleuse cellulaire produit l’horizon inférieur de la structure grumeleuse plasmatique mais celle-ci ne doit pas être considérée « comme une forme résiduelle » de la première, car les deux horizons diffèrent même « d’un simple point de vue morphologique » : la « structure cellulaire est reconnaissable, comme son nom l’indique, à la présence de cellules ; la structure plasmatique est théoriquement dépourvue de cellules, et en contient pratiquement très peu. La première se reconnaît déjà macroscopiquement à ses pores et à ses agrégats grossiers dans lesquels on retrouve la structure des déchets qui en constituent l’origine ; ces résidus, non encore digérés, associés à des colonies microbiennes géantes et à des substances minérales, forment une structure faite d’éléments et de pores grossiers, dont la cohésion est assurée d’abord principalement par les structures organiques en voie de décomposition, puis de plus ne plus par les liaisons microbiennes. Il en va tout autrement de la structure grumeleuse plasmatique ; elle a l’aspect d’une terre meuble, finement grumeleuse, qui, d’une part se distingue très bien de la poussière minérale inerte (tests de mise en solution d’après Köhler), d’autre part ne forme plus d’agrégats grossiers ; elle apparaît sous une bonne loupe, comme un système aéré, pourvu de fentes fines et de pores de petites dimensions. Celui qui veut l’étudier peut le faire sur un compost ancien, très mûr » [88].

A partir de cette distinction Rusch a tenté des recherches pour dégager « des méthodes simples » d’évaluation quantitative de la fertilité du sol [89]. Il s’est d’abord penché sur la structure grumeleuse cellulaire mais il a du reconnaître que celle-ci était « instable », variant fortement dans le nombre de cellules la composant en fonction des dépôts de matière organique sur le sol – lorsque les conditions climatiques adéquates sont réalisées : ainsi, « le nombre de cellules varie de manière importante non seulement d’un point à un autre d’un même champ, mais également au cours des périodes d’activité et de repos de la végétation » [90]. En conséquence, l’étude de cet horizon du sol « ne permet pas de mesurer avec sûreté la fertilité du sol ». Malgré cette restriction, Rusch persévéra : « Plus la structure cellulaire fut abondante, plus la fertilité résultante sera grande. Ne serait-ce que pour cette raison, on ne doit pas négliger la possibilité que donne le comptage cellulaire direct pour appréhender quelque chose de la fertilité » [91]. Il défendra son test basé sur le comptage direct au microscope des cellules contenues dans des échantillons de l’horizon cellulaire, notamment pour évaluer les différents engrais organiques : « Ce comptage permet au moins de tester l’action sur le sol d’un engrais organique apporté depuis peu, en montrant s’il produit beaucoup ou peu de cellules » [92]. Mais, s’efforçant de tenir compte de différentes restrictions, Hans Peter Rusch demeurera attaché à son analyse microbiologique « Les comptages cellulaires directs sont utilisables quand on les interprète en pensant toujours à leur signification, quand on les interprète en pensant toujours à leur signification, quand on dispose en même temps d’autres chiffres, enfin quand on considère que ces chiffres représentent des valeurs relatives, comme c’est toujours le cas si on compare des masses biologiques De toute manière, le comptage cellulaire direct doit être effectué de telle manière qu’il soit indépendant des conditions temporaires et en particulier des saisons » [93]. En vingt ans, Rusch affirme ainsi avoir effectué plus de 30.000 comptages [94]. Au-delà des difficultés des incertitudes au niveau de la variation spatiale et temporelle du nombre des cellules, Rusch admet une corrélation signification entre le nombre de cellules et la fertilité, puisque le dynamisme des cellules déterminerait la formation des substances de la structure plasmatique [95]. Cette dernière, « point crucial » du cycle des substances, comprendrait trois groupes de substances : des éléments minéraux ou substances électrolytiques (anions et cations) continuellement liés lors du déroulement des processus biologiques [96] ; les substances humiques, pouvant fixer sur leurs surfaces libres « des quantités considérables de substances vivantes et en même temps d’ions », constituant ainsi « une partie très importante de la structure grumeleuse plasmatique » [97] ; les substances vivantes proprement dites [98]. A ce propos, Rusch donne encore une précision sur la faible part quantitative de ces substances vivantes, pourtant décisives dans sa théorie : elles sont « essentielles pour le cycle de substances vivantes » mais constituent « dans les cellules en voie de décomposition une part faible, s’amenuisant manifestement tant en nombre qu’en volume ». On pourrait estimer « que les systèmes vivants « nus », dépouillés de toutes les substances protectrices, systèmes qui, en tant que structures originelles et substances de base, dirigent toute l’activité d’une cellule, forment moins de la millionième partie de la cellule (estimation faite d’après les poids moléculaire probables) ». Il ajoute aussi que le stade le plus important du cycle biologique des substances, « à savoir le flot de substances libérées dans le processus microbien et qui s’écoule directement dans la région des racines nourricières, est contrôlé par la flore de la rhizosphère et immédiatement absorbé par les plantes ». Rusch insiste ainsi sur la rapidité de la nutrition organique des plantes dans le passage depuis les cellules qui décomposent et libèreraient ces éléments vivants irréductibles, jusqu’aux racines [99]. En soulignant que ce stade de son cycle des substances est « serré », peut-être voulait-il décourager par avance les critiques voulant supposer que ces substances pouvaient avoir le temps de se décomposer et de se minéraliser dans cet horizon du sol.

Pour conclure sur le « test Rusch », il semble raisonnable de porter notre attention au-delà de la seule question de la pertinence scientifique de sa théorie et de cette méthode quantitative d’évaluation de la fertilité, en allant découvrir les incitations pratiques qui en ont découlées. Premièrement, parce que l’évaluation du travail scientifique de Rusch mène à douter de la valeur de sa théorie du cycle de la substance. Ensuite, parce que même en faisant abstraction de ce point, en admettant que cette mise entre parenthèse soit défendable, il apparaît également bien difficile de déterminer la pertinence de ses méthodes microbiologiques d’évaluation des sols et engrais. Enfin, parce que H.-P. Rusch relativisait lui-même la portée de son travail, d’une part, en avouant sa difficulté à « prononcer un jugement formel » dans « la pratique quotidienne du testage de sol » [100], et, d’autre part, en incitant à une attitude plus globale, privilégiant « l’observation directe » [101], notamment de la santé et de la fécondité des êtres vivants, et donc des rendements agricoles. Ainsi, par-delà ses incertitudes scientifiques, le travail d’Hans Peter Rusch a contribué à orienter les pratiques des agriculteurs du mouvement d’Hans Müller vers un traitement spécifique des sols de leurs champs. L’innovation majeure qu’il a apportée réside dans la critique du compostage. Mais cette entrée a été complétée par un ensemble de techniques visant à préserver la « structure grumeleuse », autrement dit et plus simplement, l’ordre structural et biologique des sols, tel qu’il se présente spontanément. Albert Howard et Rudolf Steiner, représentant en quelque sorte une première génération de pionniers de l’agrobiologie, ont mis la technique du compostage au centre de leur méthode agricole. Qu’il se fasse en tas ou en fosse, ce compostage était une amélioration des techniques traditionnelles aussi bien asiatiques qu’européennes. Hans Peter Rusch va rompre avec cette tradition et proposer le compostage en surface ou sheet composting en anglais. Découvrons comment sa méthode de comptage cellulaire a contribué à le mener à cette rupture. En accord avec sa théorie de la moindre intervention dans la nature pour faciliter un cycle sain de la substance vivante, cette rupture concerne aussi l’importance et la forme du travail du sol en agriculture.

2Critique du compostage en tas et défense du travail cultural en surface2

Quoiqu’il en soit de l’arrière-fond théorique global sur la biologie et de la conception ruschienne de la vie du sol en particulier, l’essentiel est de retenir que ce gynécologue va baser son soutien aux agriculteurs sur le postulat d’une corrélation entre masse microbienne de la couche superficielle du sol et fertilité. De même, sa critique du compostage et ses préconisations sur les techniques culturales ont le même fondement. D’abord, sur le compostage, l’essentiel est défendu techniquement en quelques lignes, lors d’une expérience menée sur un sol peu fertile [102] :

« Nous avions, dans cette expérience, composté selon la méthode traditionnelle tous les végétaux disponibles (feuilles, déchets de cuisine) et du fumier acheté avaient été mis en tas pendant au moins un an, les tas étant recouverts de terre, d’herbe ou de feuilles et retournés 2 ou 3 fois. Ayant testé ces composts avec nos méthodes, […] il s’avéra que, en dépit de leur haute qualité biologique, ils ne donnaient que des nombres de cellules faibles, à peine supérieure à ceux du sol. Au contraire les matériaux frais donnaient, comme toujours, des chiffres élevés, variant entre 1000 et 6000. Nous avions donc, avec des matières premières de haute valeur, fabriqué un compost sans valeur. De tels composts, qui donnaient le même nombre de cellules qu’un sol peu fertile, ne pouvaient avoir un effet fertilisant » [103].

Rusch sera convaincu devant de nombreux autres exemples qu’un compost bien fait pouvait aider l’agriculteur biologique à cultiver, par exemple, des légumes sains, « mais souvent la production restait insuffisante ». Rusch articule faiblesse du nombre de cellules dans le compost traditionnel avec « l’insuffisance des rendements obtenus » en agriculture biologique classique. Il généralise en affirmant qu’il n’y a pas moyen de remédier à cette faiblesse du compostage en tas ou en fosse : « Toutes les tentatives faites pour empêcher la chute du nombre de cellules lors du compostage se sont soldées par des échecs. On ne peut empêcher, lors d’un entreposage de longue durée ([…] aussi [pour] les composts urbains […]) que la valeur biologique et fonctionnelle du compost tombe à une valeur très faible, même si le compostage est parfaitement aérobie, si une humidité convenable est maintenue, si on ensemence des microorganismes et si on retourne continuellement le tas » [104].

Rusch en tire une réflexion décisive sur l’observation de la nature en général : « Une seule chose est certaine : la nature ne composte pas. Elle ne laisse jamais, dans des conditions normales, des matières organiques en tas » [105]. Autrement dit, on ne tire « le maximum de potentiel productif d’une fumure que si on emploie le compostage de surface, c’est-à-dire si on imite la nature. La nature ne connaît que le compostage de surface » [106]. Cette première rupture avec la tradition [107] permet aussi à Rusch de fournir une explication sur les faibles rendements de l’agriculture biologique de la première génération : « Cette observation explique pourquoi l’agriculture biologique pratiquée jusque là, si elle donnait des produits d’une haute qualité biologique, ne donnait des rendements suffisants que sur des sols naturellement fertiles » [108].

Pour comprendre les autres orientations ruschiennes vis-à-vis maintenant du travail du sol, on peut prolonger l’étude de sa réflexion dans le cadre plus vaste de la critique de l’interventionnisme agricole. Hans Peter Rusch admet certes que « les interventions humaines » sont « inévitables en agriculture » mais il insiste fortement, dans toute son œuvre agronomique, pour que les actions du cultivateur soient « aussi limitées que possibles » [109]. Sur la base de l’analogie du sol avec un organisme, la structure plasmatique est identifiée à un tube digestif. Le sol serait aussi « sensible et vulnérable qu’un tissu végétal ou animal » [110]. Intervenir dans cet horizon serait dangereux, comme si l’on touchait un organe vital du sol : « On sait, là, que l’on ne peut se permettre aucune intervention sans mettre en danger la vie de l’ensemble » [111].

Pourrait-on alors se contenter d’un travail du sol en surface ? On pourrait le croire : « tout travail du sol qui descend au-dessous de la couche à structure cellulaire – c’est-à-dire au-dessous de quelques centimètres – risque d’inhiber et de perturber la croissance des plantes ». Mais la réalité concrète des champs invite à adopter une attitude de principe encore plus prudente : « La limite entre la zone cellulaire et le reste de la couche arable étant très variable, parfois à quelques centimètres, dans d’autres cas à quelques millimètres de la surface, tout travail du sol est, en soi, nuisible à l’organisme « terre vivante » [112]. Hans Peter Rusch est ainsi un précurseur du non-labour, en nette progression aujourd’hui [113] : « Le dommage causé devient considérable et inexcusable quand le sol est retourné au moment de son activité maximale ; le fait d’enfouir en profondeur, à la charrue ou à la bêche, un engrais organique frais (fumier, engrais vert) doit toujours être considéré comme une lourde faute contre la vie » [114].

Ainsi, quoique tributaire d’une théorie biologique générale plus qu’incertaine, Hans Peter Rusch a fait évolué les pratiques agrobiologiques vers une fertilisation à base d’apports, aussi fragmentés que possibles, de matières organiques fraîches sur la surface des parcelles. Que ce soit pour amender ou pour lutter contre les adventices, Hans Peter Rusch mettra toujours en garde contre l’« effet inhibiteur de la perturbation des couches du sol » [115]. Nous sommes arrivés à la déclinaison de son principe général voulant que la fertilité et la santé découle du « Tout intact par rapport à l’ordre humain ». Le cycle des matières vivantes, en évitant de les manufacturer ou de les incorporer au sol autrement qu’en les déposant, serait la clef de la qualité et des rendements agricoles. Si l’on excepte une vision aussi insistante du cycle biologique, on peut dire que Hans Peter Rusch a travaillé dans une voie ouvrant à la réception occidentale de l’agriculture fukuokienne du non-agir.

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Sur la piste agrosauvage de Masanobu Fukuoka

Masanobu Fukuoka, du point de vue de sa « sage ignorance », recommandait de s’abstenir de nuire pour voir la nature entretenir et même faire progresser la fécondité de ses sols. Il a le mérite de nous rappeler que la fertilité est une donnée de la nature : vouloir compenser la baisse de la fertilité c’est d’abord l’avoir abîmée. C’est donc avoir mal agi, ne pas avoir su la respecter, l’entretenir, et l’accompagner. Quoiqu’il en dise, M. Fukuoka a pointé un savoir de la nature autrement plus concret, à l’échelle du paysan et de la conscience ordinaire, que, par exemple, la théorie du cycle de la substance vivante chez Rusch. En parlant d’agriculture sauvage, en cherchant à mêler et imbriquer ses cultures avec les plantes ou les arbres non domestiqués, il attire l’attention, par ses bons rendements maintenus, sur les forces en cause dans les mécanismes naturels de la fertilité. Nous allons d’abord découvrir le cheminement qui l’a mené à une agriculture simplifiée. Nous verrons ensuite que la validité de sa méthode prend appui sur un système agroforestier. Enfin, nous terminerons avec l’espérance de reverdir les déserts, l’application planétaire que voit Masanobu Fukuoka pour sa méthode.

2La recherche d’une agriculture simplifiée2

Malgré sa tendance au rejet de la science, des scientifiques peuvent s’inspirer de sa démarche pour poser différemment la question de la fertilité et de la fertilisation. Pour notre part, l’étude du travail de M. Fukuoka a été décisive pour resituer l’agriculture biologique par rapport à l’agriculture conventionnelle, à l’agriculture traditionnelle, et à l’appel à une agriculture « plus naturelle ». La force de sa démarche, une fois mis de côté son habillage de religiosité orientale, est indéniable. Elle réside notamment dans la grande simplicité de ses principes. Plutôt que de chercher à droite et à gauche des solutions pour le problème agricole, M. Fukuoka cherche à s’abstenir d’interventions inutiles ou nuisibles : « Et si on ne faisait pas ceci ? Et si on ne faisait pas cela ? – telle était ma manière de penser » [116]. Pendant les trente années où il a vécu presque comme un ermite, ayant « peu de contact avec les gens en dehors de ma propre communauté », il a mis « le cap en ligne droite sur une méthode d’agriculture du « non-agir » ». Le résultat fut une agriculture largement simplifiée dans une vision de la nature comme équilibre et harmonie : « Finalement j’arrivai à la conclusion qu’il n’était pas nécessaire de labourer, pas nécessaire de répandre de l’engrais, pas nécessaire du faire du compost, pas nécessaire d’utiliser de l’insecticide. Quand vous arrivez jusqu’à ce point, il y a peu de pratiques agricoles qui sont vraiment nécessaires » [117].

Concrètement, à quoi vont ressembler les champs de Masanobu Fukuoka si l’on prend ses principes à la lettre ? La crainte d’avoir affaire à une agriculture « de l’abandon » [118], quand on entend parler de Masanobu Fukuoka, est seulement justifiable lorsque l’on oublie la radicalité de sa démarche. La radicalité renvoie à une prise de position tranchée dans un débat. Dans la dialectique nature et culture où se formule une méthode agricole, M. Fukuoka a cherché à s’accrocher au maximum au pôle naturel, entendu comme ce qui advient indépendamment de l’homme. L’agriculteur qui voudrait passer sans transition, d’une saison culturale à la suivante, de sa méthode à celle de Masanobu Fukuoka s’expose à l’échec : il ne part pas d’une nature fonctionnant d’une manière proche de ses régulations spontanées. M. Fukuoka lui-même s’est d’abord heurté concrètement à ce problème, lorsqu’il a repris le verger de son père [119], jusqu’alors conduit de manière conventionnelle : « Avant la fin de la guerre, lorsque je montai au verger pour mettre en pratique ce qu’alors je pensais être l’agriculture sauvage, je ne fis aucune taille et laissai le verger à lui-même. Les branches s’emmêlèrent, les arbres furent attaqués par des insectes, et presqu’un hectare de mandariniers s’atrophia et mourut. Depuis ce temps et encore maintenant, la question « Quel est le modèle naturel ? » n’a cessé d’occuper mon esprit. Au cours de mon cheminement pour arriver à une réponse, j’anéantis encore 400 arbres » [120]. M. Fukuoka comprit qu’il fallait partir de conditions proches de la nature sauvage [121], tant au niveau du milieu et du sol, qu’au niveau des plantes cultivées. Le passage suivant montre qu’il a étendu ce raisonnement de l’agriculture à la vie sociale, non sans sacrifier à ce que nous connaissons en Occident comme une forme de rousseauisme ou d’attirance pour le mythe de l’enfant sauvage : « Dans la mesure où les arbres s’éloignent de leur forme naturelle la taille et la destruction des insectes deviennent nécessaires ; dans la mesure où la société humaine se détache d’une vie proche de la nature l’éducation devient nécessaire ». [122] En fait, la « ligne de raisonnement » de Masanobu Fukuoka [123] consiste à dire que l’homme a créé les conditions de son propre tourment en maltraitant la nature, aussi bien hors de lui qu’en lui. Sur le seul plan agricole, cela revient à dire que l’homme a mal travaillé et qu’il a ainsi créé les conditions qui ont rendu nécessaires une bonne partie des façons culturales, des produits utilisés, des soins apportés aux plantes et aux animaux que nous connaissons dans l’agriculture moderne [124]. Si l’on généralise la thèse de Masanobu Fukuoka, l’histoire est décadence. Et l’homme une espérance illusoire. Du coup, dans tous les domaines de la civilisation humaine, la seule chose souhaitable est le « Retour à la source » [125].

Pour suivre M. Fukuoka sur ce chemin, nous sommes obligés de mettre de côté les représentations occidentales du paradis originel. Dans celles-ci, il y a toujours une idée du bonheur parfait, mais il y aussi, presque toujours, une dose plus ou moins importante de dialogue avec le divin, d’existence subjective de la personne, et donc de liberté et de créativité de l’homme. L’homme du paradis occidental participe activement, même si c’est de manière secondaire et aisée, au bonheur parfait. L’homme du paradis oriental, qui s’appelle parfois Datong, s’efface dans la fusion avec l’être ou le vide total. Le Dieu fukuokien ne s’adresse pas à l’homme [126]. Ceci étant dit, au fur et à mesure de notre étude de l’œuvre de M. Fukuoka, une question générale a peu à peu émergé de manière pressante. Une réflexion, d’un bon sens apparent, veut que l’agriculture soit de la technique, et donc qu’il n’y ait guère de sens à parler d’une agriculture naturelle, et encore moins d’une agriculture sauvage.

Comme l’a relevé Larry Korn, au sens strict, « la seule agriculture « sauvage » est la chasse et le cueillette. Faire pousser des récoltes agricoles est un changement culturel qui requiert de la connaissance et un effort constant » [127]. Beaucoup en conviennent. Même un Gunter Vogt, au terme du premier travail germanophone d’importance consacré à l’histoire de l’agriculture biologique, en vient à remettre en cause la pertinence de cette idée agrobiologique d’une agriculture en harmonie avec la nature [128]. Faut-il définitivement la ranger au rayon des illuminations romantiques de la jeunesse du mouvement ? Nous ne le croyons pas. Au contraire, nous pensons qu’il faut la regarder en face et la purifier. L’écarter serait presque vider entièrement de sa substance le levain que constituent la critique et la recherche agrobiologiques pour la pâte agricole et son au-delà sociétal. Mais que signifie-t-elle matériellement ?

L’idée fukuokienne d’agriculture sauvage, qui sous-titre La révolution d’un seul brin de paille, le premier livre ayant fait connaître le paysan et biologiste japonais, a le mérite d’être plus parlante que l’idée d’agriculture naturelle que l’on trouve chez Hans Peter Rusch et chez Albert Howard, et plus tard dans l’œuvre même de Masanobu Fukuoka. L’idée de « sauvage » évite les équivoques sur les différents sens du mot nature [129]. Le sauvage, chez M. Fukuoka, c’est essentiellement la nature terrestre qui tend à devenir forêt si le climat le lui permet. En un sens encore plus fort que chez Sir Albert Howard, la forêt joue le rôle du modèle de l’agriculture. Tandis que Howard imite de loin la forêt, Fukuoka cherche à s’y plonger. Au terme de ce travail, une des questions demeurées irrésolues vis-à-vis de l’œuvre du célèbre agriculteur bouddhiste, est celle-ci : pourquoi a-t-il travaillé à mettre au point une agriculture sauvage et n’a-t-il pas choisi plutôt une revalorisation du mode de vie de simple prédation ? Là, la non-intervention humaine dans les écosystèmes eut été portée à son maximum. Peut-être était-ce en raison des contraintes territoriales inhérentes à ce mode de vie, vu que la nature et la forêt du Japon, comme le niveau de la population et la superficie du pays, n’ont pas grand-chose à voir avec les conditions dans lesquelles des peuples parviennent encore à vivre ainsi, par exemple en Amazonie. Quoi qu’il en soit, une juste compréhension du sens de l’œuvre de Masanobu Fukuoka implique de saisir qu’il a cherché à se rapprocher autant que possible de ces conditions préagricoles. A défaut de se confondre ou de se fondre avec la nature animale et forestière, il a cherché à installer ses plantes domestiques aussi discrètement que possible dans le milieu naturel. Dans ses rizières, il ne laboure pas. Il a réussi à semer du trèfle et il n’intervient (en inondant) que pour affaiblir celui-ci et faciliter le démarrage des pieds de riz. Aussitôt après, il laisse faire la nature. Il est intéressant de noter qu’il fait référence à l’histoire agricole de son pays pour justifier qu’il ne s’agit pas d’une invention de sa part : « J’en ai récemment discuté avec le Professeur Iinuma de l’Université de Kyoto. Il y a mille ans, au Japon, on pratiquait l’agriculture sans labourer, et la culture de la terre sur une faible profondeur n’a pas été introduite avant l’ère Tokugawa il y a 300 à 400 ans. Le labour profond a été introduit au Japon avec l’agriculture occidentale ». D’autre part, il est important de souligner, face aux sceptiques, que Masanobu Fukuoka a reçu une reconnaissance de la part des scientifiques, même si elle a été souvent impersonnelle et longue à venir. Plus décisif peut-être, les techniques culturales simplifiées (TCS), dont le non-labour, progressent nettement aujourd’hui dans le monde, aussi bien en agrochimie qu’en agrobiologie [130]. Ecoutons donc cette déclaration fukuokienne de modernité paradoxale : « Faire pousser des céréales dans un champ non labouré peut sembler à priori une régression vers l’agriculture primitive, mais, avec les années, cette méthode s’est révélée dans les laboratoires universitaires et les centres d’essai agricoles du pays, la méthode la plus simple, la plus efficace et la plus moderne de toutes. Tout en désavouant la science moderne, cette manière de travailler la terre se place maintenant au tout premier plan du développement de l’agriculture moderne » [131].

De même avec les parasites : M. Fukuoka compte qu’une « exploitation naturelle » [132]retrouve rapidement un équilibre parasites-prédateurs des parasites, avant que la nuisance ne mette en danger sérieusement le rendement et la qualité de la récolte [133]. Aujourd’hui, on peut dire que des versions dégradées de ce principe fukuokien gagnent du terrain, même chez les agrochimistes. Nombre d’entre eux pensent maintenant à comparer le coût des épandages de biocides avec le prix de vente de la récolte et les diminutions de rendement occasionnés par les organismes pathogènes ou les adventices : on traite moins systématiquement qu’il y a vingt ans.

Nous avons ainsi compris comment une plus grande proximité avec l’écosystème naturel avait permis à Masanobu Fukuoka de simplifier le travail agricole tout en maintenant les objectifs de qualité et de rendement. Sa démarche se concrétise globalement en un système d’agroforesterie. Dans celui-ci, une nouvelle rupture se dessine par rapport à la tradition agricole et agrobiologique. La relativisation de l’intervention et de l’artifice humain s’accentue. Amendements, compostage en tas et compostage de surface sont quasiment abandonnés, au profit d’une insertion discrète de l’agriculture dans les mécanismes spontanés de l’augmentation naturelle de la fertilité

2Par-delà la fertilisation : la mise en place d’un système agroforestier2

Ainsi, le point où Masanobu Fukuoka se démarque peut-être le plus de l’agriculture biologique classique est peut-être celui de la fertilisation. Quand Rusch rejetait le compostage en tas ou en fosse, préconisé par Howard et Steiner, il défendait encore l’apport d’amendements minéraux non solubles et l’apport d’engrais organique par un compostage de surface. Masanobu Fukuoka, quant à lui, vise à ignorer purement et simplement l’idée de fertilisation. Ce ne sont pas les quelques fientes de poules qu’il dit apporter parfois, ni même sa pratique du retour intégral aux champs des pailles des céréales récoltées, qui pourront faire figure d’un authentique plan de fertilisation pour l’agriculteur occidental. Même par rapport à l’agriculture traditionnelle orientale ou européenne, férue de compostage, Masanobu Fukuoka fait figure d’exception. Sa thèse sur la fertilité, que certains désignent avec le néologisme d’« autofertilité » [134], n’est que l’affirmation de la croissance de la fertilité naturelle dans les conditions normales. En minimisant les interventions et en permettant à la dynamique écologique de se réaliser au mieux, Fukuoka prétend avoir obtenu des rendements égaux ou supérieurs à la moyenne de sa région, agrobiologie, agriculture traditionnelle, et agrochimie confondues [135]. C’est pour le moins étonnant. Mais le climat tropical de l’île de Shikoku, avec celui de sa voisine Kyushu, toujours humide, presque le plus chaud du Japon en été, presque tempéré en hiver, présente la plus grande régularité de l’archipel nippon : cela peut aider à comprendre la luxuriance possible de la végétation. Mais, demandons-nous : que faire face à des secteurs où les sols sont pauvres, voire arides ou désertiques ? C’est sans doute à ce point que le modèle forestier trouve sa plus grande force dans l’œuvre de Masanobu Fukuoka. Sur sa ferme même, il a été confronté à des collines aux sols érodés et dénudés. Dans les passages suivants, il relate son cheminement face à des sols épuisés, depuis les méthodes alors préconisées officiellement, jusque vers sa méthode d’agroforesterie. La situation de départ n’inspirait plus que désolation : « Il y a vingt ans, le flanc de cette montagne était d’argile nue, si dure que vous n’auriez pas pu y enfoncer une pelle. Une bonne partie de la terre par ici était ainsi. Les gens avaient fait pousser des pommes de terre jusqu’à ce que la terre fut épuisée, puis les champs avaient été laissés à l’abandon ». Dans les premières étapes de ses essais pour restaurer la fertilité de « ces pentes montagneuses dénudées », M. Fukuoka n’arriva pas à grand-chose : « Après la guerre, on encourageait la technique qui consistait à cultiver en profondeur le verger et à creuser des trous pour y ajouter des matières organiques [136]. Quand je revins du centre d’essai, j’ai essayé de le faire dans mon verger. Après quelques années j’en vins à la conclusion que cette méthode était non seulement épuisante physiquement, mais franchement inutile pour ce qui est de l’amélioration du sol. J’enfouis d’abord de la paille et des fougères que j’avais descendues de la montagne. Transporter des charges de plus de 40 kg était un gros travail, et deux ou trois ans plus tard, il n’y avait pas assez d’humus pour emplir ma main ! Les tranchées que j’avais creusées pour enfouir la matière organique s’éboulèrent et tournèrent au puits ouverts » [137].

L’étape suivante mène Masanobu Fukuoka au succès. Cette fois-ci, il arrive à sa méthode agrosauvage pour son verger-jardin. Au passage, on remarquera qu’il relève le rôle humificateur supérieur du bois par rapport aux pailles : « Ensuite j’essayai d’enterrer du bois. Il semble que la paille est la meilleure aide pour améliorer le sol, mais à en juger d’après la quantité de terre formée, le bois est meilleur. C’est parfait aussi longtemps qu’il y a des arbres à couper. Mais pour quelqu’un qui n’en a pas à proximité, il est préférable de faire tout simplement pousser le bois dans le verger plutôt que de le transporter à distance » [138]. Du coup, Masanobu Fukuoka remet de la nature dans ses cultures et souligne son rôle bénéfique pour l’agrosystème [139] : « Dans mon verger il y a des pins et des cèdres, quelques poiriers, des kakis, des néfliers, des cerisiers japonais et beaucoup d’autres variétés indigènes poussant parmi les agrumes. L’un des arbres les plus intéressants, bien qu’il ne soit pas indigène, est l’acacia Morishima. C’est le même arbre que j’ai mentionné plus tôt en rapport avec les coccinelles et la protection par les prédateurs naturels. Son bois est un bois dur, ses fleurs attirent les abeilles et ses feuilles font un bon fourrage. Il aide à prévenir les ravages d’insectes dans le verger, joue le rôle de brise-vent, et les nodosités (« rhizobium », bactéries vivant dans les racines) fertilisent le sol ». En complément du semis ou de la plantation d’arbres sauvages avec ses fruitiers, il a mis des légumineuses sur le sol nu : « Quand à la surface du sol, j’ai semé un mélange de trèfle blanc et de luzerne sur la terre nue. Il a mis plusieurs années avant de prendre mais finalement a levé et couvert les pentes du verger. J’ai planté également du radis japonais (daikon). Les racines de ce vigoureux légume pénètrent profondément dans le sol, ajoutent de la matière organique et ouvrent des passages à la circulation de l’air et de l’eau. Il se ressème tout seul facilement, et après l’avoir semé une fois on peut presque ne plus y penser » [140]. A cette étape du travail de M. Fukuoka, le verger peut devenir verger-jardin. Mais avant de montrer comment il « jardine », laissons-lui faire le bilan de la reforestation et du semis de légumineuse dans son verger :

« En conséquence de cette épaisse couverture du sol en trèfle et en mauvaises herbes, la couche superficielle du sol d’argile rouge compacte, est devenue en vingt cinq ans meuble, noire et riche en matière organique et en vers de terre. Avec l’engrais vert pour fertiliser le sol en surface et les racines de l’acacia Morishima pour l’améliorer en profondeur, vous pouvez très bien vous passer de fertilisant et il est inutile de cultiver entre les arbres du verger. Avec de grands arbres en brise-vent, des agrumes au centre et une couverture d’engrais vert dessous, j’ai trouvé le moyen de ne pas m’en faire et de laisser le verger se débrouiller seul » [141].

Précisons alors comment il gère ses légumes dans les mauvaises herbes et les adventices. Si le trèfle vient à se faire dominer par les adventices, Masanobu Fukuoka réagit différemment des méthodes courantes. En agriculture conventionnelle, voire en agriculture biologique, on tente généralement de désherber, par le travail du sol, les herbicides, ou le brûlage [142]. Le paysan le plus connu de Shikoku préfère couper les mauvaises herbes jusqu’à ce que ses semis et plantations prennent l’avantage sur elles : « Après sept ou huit ans le trèfle disparut presque parmi les mauvaises herbes ; aussi, après les avoir recoupées jetai-je un peu plus de graines de trèfle à la fin de l’été ». Le semis des légumes suit le même procédé, à base de fauche des adventices et d’utilisation de cette coupe en mulch protecteur des jeunes pousses ; M. Fukuoka sème entre les arbres, dans les endroits ouverts à une bonne possibilité de photosynthèse : « Je fais pousser les légumes d’une manière « semi-sauvage », utilisant un terrain vague, berge ou terre inculte non clôturée. Jeter simplement les graines et laisser les légumes pousser avec les mauvaises herbes telle est ma conception. Je vais venir mes légumes sur le versant de la montagne dans les espaces libres entre les agrumes. Le point important est de connaître le bon moment pour semer [143]. […] Il vaut mieux attendre une pluie qui a des chances de durer plusieurs jours. Coupez un andain dans le couvert de mauvaises herbes et répandez les graines de légumes. Il n’est pas nécessaire de les recouvrir de terre ; remettez simplement les mauvaises herbes que vous avez coupées sur les graines pour jouer le rôle de mulch et les cacher aux oiseaux et aux poulets jusqu’à ce qu’elles puissent germer. Habituellement les mauvaises herbes doivent êtres recoupées deux ou trois fois pour donner une tête d’avance aux pousses de légumes, mais parfois une seule coupe suffit » [144].

On peut apprécier la logique agricole de Masanobu Fukuoka mais certains ne manqueront pas de pointer qu’il travaille essentiellement manuellement. Sa vision de l’agriculture, comme travail sacré et voie d’accomplissement spirituel de l’homme, n’est pas en phase avec l’agriculture envisagé comme métier au service de finalités diverses de celui qui la pratique. Il n’utilise que des outils de jardinage simples et peut-être une seule machine traditionnelle, pour le battage des gerbes de céréales [145]. Parallèlement, il travaille sur la ferme familiale, une ferme à échelle humaine, qu’il parvient à suivre seul pour subvenir à ses besoins : avec le temps il a appris à connaître sa ferme en détail, il sait assez précisément quand il doit intervenir pour obtenir l’efficacité optimale. Ce passage résume ses réticences à une agriculture pratiquée à plus grande échelle, susceptible de dégager des excédents commerciaux et de permettre des modes de vie détachés de la pratique agricole, bien que toutes les civilisations en aient généré : « Lao Tseu, le sage taoïste, dit que l’on peut mener une vie saine et décente dans un petit village. Bodhi-dharma, fondateur du Zen, passa neuf ans de sa vie dans une cave sans se donner de mouvement. Se tracasser pour faire de l’argent, pour s’agrandir, pour mettre en valeur, pour faire des récoltes de rapport et pour les expédier n’est pas la voie de l’agriculteur. Etre ici, prendre soin d’un petit champ, en pleine possession de la liberté et de la plénitude de chaque jour – de chacun des jours – a dû être la voie originelle de l’agriculture » [146]. Mais cette méthode est-elle malgré tout transposable à plus grande échelle ? Peut-elle s’envisager dans le contexte d’une agriculture mécanisée, voire industrialisée, où le travail est de moins en moins déterminé par la connaissance détaillée du lieu et de plus en plus par des recettes techniques tendant à faire abstraction des conditions pédoclimatiques ? [147] Au premier abord, la transposition de la méthode fukuokienne sur une grande échelle et dans le cadre d’une agriculture mécanisée semble hors de son propos. Néanmoins, Masanobu Fukuoka s’est engagé dans la restauration de la fertilité un peu partout où il le pouvait. Au-delà de sa tendance à l’érémitisme, au-delà de ses écrits et conférences, au-delà de l’application localisée et collectivement organisée de sa méthode [148], il a soutenu de vastes projets de reconquête des déserts. Ainsi, à la charnière de l’agriculture et de la reconstitution de ses conditions possibilités naturelles, là où elles ont le plus disparu, on peut dire que l’agriculteur-philosophe japonais applique ses méthodes à grande échelle.

2Reverdir les déserts : l’application des principes fukuokiens à grande échelle2

D’abord, dans les faits, comme nous l’avons déjà souligné, des techniques plus ou moins proches, ou directement inspirées des principes de Masanobu Fukuoka, se répandent dans l’agriculture occidentale, largement au-delà du cercle des seuls agrobiologistes et des fermes de petite ou moyenne dimension : non labour, semis direct sur couvert végétal, agroforesterie, taille douce en arboriculture… Ensuite, en s’en tenant à la question de la fertilité, il faut creuser la réflexion du côté de ce que rappelle Masanobu Fukuoka quant au rôle pédogénétique des arbres. Comme il le dit lui-même dans le chapitre de La révolution d’un seul brin de paille où il relate la restauration de la fertilité de son verger d’agrumes, « Il n’y a pas de méthode plus avisée en agriculture que la voie d’une saine amélioration du sol » [149]. Unanimement les fondateurs de l’agrobiologie ont mis la question de la restauration de la fertilité au premier plan d’une agriculture performante et durable sur tous les plans. Mais, seul parmi eux, Masanobu Fukuoka a autant insisté pour mettre la proximité concrète avec les écosystèmes naturels au cœur de l’agriculture. Surtout, il a donné, selon nous, une incarnation plus logique au modèle forestier. Quand Howard préconisait le compost pour imiter la forêt, Rusch lui répondait déjà que la nature ne fait pas de tas. Quand Howard appelait à établir des rotations longues entre les forêts et les parcelles cultivées pour que la nature refasse la fertilité dégradée par l’agriculture, on peut interpréter cette solution comme une simple juxtaposition de l’agriculture et de la forêt, non une articulation de l’une avec ou dans l’autre. C’est cette articulation que propose Masanobu Fukuoka. Nous en avons montré le principe dans ses rizières et dans son verger. Nous avons vu qu’il était devenu capable de relancer la fertilité de secteurs presque stériles. S’il est adversaire de l’agrandissement agricole, ce n’est pas seulement pour défendre son inclination à une simple agriculture de subsistance pour chacun. C’est aussi parce qu’il privilégie l’extension de la production agricole par unité de surface et non par conquête de nouvelles parcelles. Il privilégie l’étagement et la verticalité dans l’organisation des productions agricoles, dans l’esprit des oasis. Ce point n’a pas échappé à la permaculture, le principal courant d’agrobiologie qu’il a contribué à inspirer. Bill Mollison et David Holmgren, les fondateurs de la permaculture, évoquent ici cette question à propos du rendement :

« La productivité de l’agriculture est habituellement évaluée par le rendement par unité de surface. Les rendements par unité de surface de n’importe quelle espèce particulière doivent probablement être plus bas dans un écosystème de permaculture que dans une monoculture. Néanmoins, la somme des rendements d’un système de permaculture sera plus grande, simplement parce qu’un système de monoculture ne peut jamais utiliser toute l’énergie disponible et tous les éléments nutritifs existants. Par exemple, un système de plantation à plusieurs étages utilise toute la lumière disponible pour la photosynthèse. Les différentes espèces d’arbres, comme Kern le fait remarquer, ont des systèmes radiculaires de formes dissemblables, ponctionnent les réserves d’eau et d’aliments à plusieurs niveaux » [150].

De plus, les systèmes d’agroforesterie adaptés à l’agriculture mécanisée moderne, qui se développent aujourd’hui, prouvent que l’installation mesurée des arbres, dans des openfields préalables, peut se traduire par une dynamique « gagnant-gagnant » : l’introduction réfléchie d’arbres peut apporter une contribution équilibrante à l’écologie des champs sans nuire aux rendements des cultures de la parcelle, ainsi que rapporter un complément de revenu par la vente de bois de qualité. Mais l’on peut aussi introduire plusieurs sortes d’arbres spécifiques, tels des fixateurs d’azote, comme le fait Masanobu Fukuoka, et comme l’agroforesterie traditionnelle le fait depuis longtemps [151]. Bien sûr, on peut aussi introduire des fruitiers. Des essais, notamment au CIRAD [152] de Montpellier, mais aussi la pratique éprouvée de certains agriculteurs biologiques, ont ainsi déjà montré que des combinaisons judicieuses d’arbres auxiliaires et de cultures arboricoles pouvaient aboutir au résultat d’améliorer et les rendements fruitiers, et les rendements des cultures, des céréales en l’occurrence [153]. Mais revenons plus précisément à ce paysan-chercheur japonais.

Quoique père assez solitaire de l’agriculture sauvage, M. Fukuoka a eu néanmoins envie de faire connaître largement ses trouvailles, et il a inspiré ainsi de nombreuses recherches et innovations. Il a écrit des livres et des articles, répondu à des interviews, participé à des émissions de télévision ou de radio [154]. De nombreux chercheurs sont venus visiter ses champs ou faire des prélèvements, bien des stagiaires sont venus apprendre sa façon de travailler et vivre un temps des produits de sa ferme. Ses livres sont traduits en plusieurs langues, en anglais, en indien, en allemand, en espagnol, en français… Selon les éditions Guy Trédaniel, qui ont publié en français les trois ouvrages de sa main disponibles aujourd’hui pour le public français, Masanobu Fukuoka serait même célébré par ses compatriotes comme le « Lao Tseu des temps modernes ». Le titre est impressionnant, des sondages auprès de la population japonaise seraient intéressant pour mesurer la popularité réelle de cet homme [155]. Quoi qu’il en soit, celle-ci est établie à un niveau certain, vu qu’il lui a été décerné, rappelons-le, un équivalent du Prix Nobel de la paix, en 1988 [156].

Mais cette large médiatisation n’a pas suffi à M. Fukuoka. Depuis la fin des années 1970, il a voyagé un peu partout pour faire connaître ses idées : Etats-Unis, Europe, Afrique, Inde, Thaïlande, Philippines… C’est une rencontre avec un responsable de la FAO qui l’a conduit sur la voie d’un projet qui fait rêver.

Fort de sa conscience du rôle décisif du manque, ou bien, réciproquement, de la plantation d’arbres [157], il s’intéresse, depuis 1979, à la reconquête des déserts. Sa technique est simple : mélanger des graines sauvages et des semences domestiques, autant d’arbres que d’arbustes, de céréales et de légumes, et les enrober dans des supports naturels protecteurs. Les boulettes, faites par exemple avec de l’argile, protègent les semences des rayons directs du soleil et des prédateurs en attendant la pluie. Devant l’urgence qu’il voit dans la désertification, M. Fukuoka n’hésite plus à recommander d’organiser des ensemencements de ce type avec de gros moyens modernes, tels les avions ou les hélicoptères [158].

Pour l’instant, on peut rapporter l’initiative qui a eut lieu dans le nord de la Grèce avec lui, en 1998. Au printemps 1998, avec son disciple Panaiotis Manikis [159], une Initiative de ceinture verte pour l’Europe méridionale est lancée par Masanobu Fukuoka. Le but de la Green Belt southern Europe est de stopper la désertification des régions nord-méditerranéennes. Sous la direction de l’agronome japonais, dans la région du lac de Vegoritida, a ainsi eu lieu en Grèce un premier ensemencement sur une large échelle (10.000 ha). Des volontaires de toute l’Europe, des étudiants, des agriculteurs, ont semé sept tonnes de graines enrobées dans des boulettes réalisées avec soixante tonnes d’alumine. L’opération a, semble-t-il, connu un franc succès, tant au niveau du gouvernement que de plusieurs scientifiques, journalistes, et auprès de la population locale [160]. Cette initiative n’a semble-t-il pas été renouvelée depuis, avec Masanobu Fukuoka. Mais rappelons qu’il aura 94 ans en 2007.

Néanmoins, le succès de cette démarche est promis à un bel avenir, car cet engagement entre en résonnance directe avec l’action engagée par l’association du professeur Wangari Maathai, la récente Prix Nobel de la paix 2004 – et Légion d’honneur française en 2006. Créé en 1976, son Green Belt Movement a le même objectif de revalorisation écologique et sociale : favoriser le développement en commençant par faire reculer les déserts et restaurer la fertilité des terres en plantant des arbres. A ce jour, le Green Belt Movement a aidé, notamment des femmes kényanes, à planter plus de 30 millions d’arbres ! [161] Masanobu Fukuoka, parmi d’autres, a visé juste en mettant l’écosystème sauvage et les arbres au cœur de la recherche de systèmes agricoles performants à tous points de vue, écologiques et productifs : restauration durable de la fertilité, disponibilité hydrique, qualité alimentaire, productivité agricole et sylvicole, agrément paysager, etc… Dans notre quatrième et dernière partie, nous approfondirons encore la piste agrosauvage de Masanobu Fukuoka et le modèle forestier des fondateurs de l’agrobiologie. Nous découvrirons alors une nouvelle perspective d’agroforesterie contemporaine, ayant le double avantage de souligner les limites théoriques de la pensée des fondateurs et d’ouvrir à une nouvelle étape de la pratique et de la réflexion sur la problématique fertilité et fertilisation.

Mais, auparavant, il nous faut tirer un bilan des différents systèmes d’agriculture biologique proposés par les fondateurs.

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[1Gregory Barton évoque plusieurs auteurs comme l’agriculteur John Lorain (Nature and Reason Harmonized in the Practice of Husbandry, 1825) ou Georges Marsch (Men and nature : Or, Physical Geography as Modified by Human Action, 1864) mais il fait remonter cette idée à la croyance antique en un âge d’or primitif où l’homme vivait dans les forêts et où la terre avait sa fertilité maximale. Il fait référence à Columelle et à Pline l’Ancien (Voir Barton G., Sir Albert Howard and the Forestry Roots of the Organic Farming Movement, in Agricultural History, 75, 2, 2001, p. 168-187, p. 174 (ed. Agricultural History Society et University of California Press).

[2Cf. Mustin M., Le compost, Gestion de la matière organique, Ed. François Dubusc, Paris, 1987, 954 p., p. 596.

[3J’entends ici « justification scientifique » au sens ordinaire, c’est-à-dire au sens d’une démonstration théorico-expérimentale formalisée, mathématisée, et articulant de manière aussi univoque que possible une ou plusieurs série de variables avec d’autres. C’est dans ce sens ordinaire que Howard pouvait dire que les lois agrochimiques de Liebig étaient le résultat d’un travail tout à fait convaincant sur le plan scientifique de son époque. (cf. Testament agricole, p. 171-172).

[4Sur les tentatives d’engrais biologiques à partir d’inoculations de microorganismes, voir Jas, N., Microorganismes à tout faire : les tentatives de redéfinitions du champ scientifique de la fertilisation par la microbiologie du sol en France vers 1886 –1930, Communication lors de la Journée d’étude L’agriculture biologique, ferment du développement écologique ? ; voir aussi Jas, N., Au carrefour de la chimie et de l’agriculture, op. cit., p. 331-334.

[5Il considérait que la gestion du fumier de ferme était le point le plus faible de l’agriculture occidentale (cf. Testament agricole, p. 33).

[6Howard n’a pas atteint son objectif de soutien politique et législatif d’envergure à la fabrication d’humus. Pour Gregory Barton, il n’y aurait guère que la politique nazie qui ait intégré quelques idées proches de celles d’Howard (cf. Barton G., Sir Albert Howard and the Forestry Roots of the Organic Farming Movement, op. cit., p. 186-187). Mais si l’on va par là, il serait plus juste d’attribuer à l’agriculture anthroposophique l’influence la plus directe sur la politique agricole du IIIe Reich.

[7Cf. TA, p. 204.

[8Barton, G., Sir Albert Howard and the Forestry Roots of the Organic Farming Movement, ibid., p. 178.

[9Présenté dans ses bases aux pages 37-48 du Testament agricole. Le nom de compostage « Indore » vient du nom de l’Etat indien où le procédé a été mis au point : Howard a donné ce nom en reconnaissance pour l’aide matérielle et financière que cette institution lui a apporté.

[10Cf. Mustin M., Le compost, Ed. Dubusc, Paris, p. 596.

[11Howard A., Testament agricole, p. 39-41.

[12Howard A., Farming and gardening for health or disease, chapitre XIII et chapitre II.

[13Waksman S.-A., Humus, Origin, chemical composition and importance in nature, 1938.

[14Testament agricole, p. 50-51.

[15Ibid., p. 42-43.

[16Ibid., p. 40.

[17Ibid., p. 94-95.

[18Sur les détails des trous d’aération de la méthode Indore, voir Testament agricole, p. 45.

[19Ibid., p. 43.

[20Ibid., p. 44.

[21Ibid., p. 44

[22Ibid., p. 47-48.

[23Cf. Testament Agricole, Planche XI, entre les pages 212 et 213.

[24Ibid., p. 48-49. En cas de besoin de conservation, il faudrait couvrir l’humus et le retourner de temps en temps.

[25Howard A., Farming and gardening for health or disease, chapitre XIII.

[26Ibid.

[27Testament agricole, op. cit., p. 51.

[28Ibid., p. 156.

[29Ibid., p. 156-157.

[30Ibid., p. 157. Howard en note l’existence pour le riz (cf. p. 80-81).

[31Perry, D.A. et alii, Bootstrapping in ecosystems, in BioScience, 39, 4, 1989, p. 230-237, 1989. Nous utilisons ici le texte original et la traduction commentée de cet article par Gilles Lemieux (cf. Lemieux, G., L’intersuffisance des écosystèmes épigé et hypogé, Publication GCBR n° 16, 1990, 39 p., p. 05).

[32Lemieux, G., L’intersuffisance des écosystèmes épigé et hypogé, ibid., p. 06

[33Testament agricole, op. cit., p.157.

[34Sur les endomycorhizes et les ectomycohrizes, voir par exemple Lemieux, G., L’intersuffisance des écosytèmes épigé et hypogé, p. 07.

[35Testament agricole, op. cit., p. 158.

[36Cf. infra § 4.

[37Testament agricole, p.67.

[38Ibid., p.181.

[39« Les pommiers étaient littéralement recouverts de la nielle américaine, de pucerons verts et de chenilles détruisant les fruits (mite du pommier). Le fruit était de mauvaise qualité ».

[40Testament agricole, ibid., p.157.

[41Ibid.

[42Ibid., p.158.

[43Cf. Testament agricole, p.107.

[44Ibid., p. 86.

[45Howard soulignait aussi que la combinaison engrais vert-humus permettait de diminuer les apports d’humus (cf. Testament agricole, p. 192).

[46TA, p. 87.

[47Ibid.

[48Ibid., p. 88.

[49Ibid., p. 90.

[50Ibid.

[51Ibid..

[52Ibid., p. 91-92.

[53Un chapitre intitulé Evolution du procédé Indore.

[54Lemieux G., Communication personnelle.

[55Cf. Barnes S., L’invention des déchets urbains, Ed. Champs Vallon, op. cit.

[56Voir Vernadsky W., La biosphère, Seuil, 2002 (1re édition russe en 1926), 284 p.

[57Rusch H.-P., La fécondité du sol, p. 91

[58Vernadsky affirmait en effet : « De l’immutabilité des processus d’altération superficielle, découle l’immutabilité du nombre des atomes englobés par la vie, c’est-à-dire la presque invariabilité au cours des temps géologiques de la masse globale de la matière vivante ». Il ajoutait qu’il n’existerait « que des indices de faibles oscillations autour de la moyenne fixe » (cf. Vernadsky W., La biosphère, op. cit., p. 72).

[59Par la multiplication naturelle et la sélection humaine des semences.

[60Si la nature est bien féconde, c’est-à-dire un processus de croissance de la vie, on pourrait peut-être dire, en ayant conscience de l’anthropomorphisme de l’expression, qu’elle est « progressiste »… Masanobu Fukuoka, tout en réservant cette perspective à ce qu’il appelle le point de vue « relativiste », affirme que la nature est « progrès et progression jamais nonchalante » (in La Voie du Retour à la Nature, p. 251).

[61L’autre souci important étant l’amélioration variétale.

[62Meyer-Abich A., Naturphilosophie auf neuen Wegen, Piper-Verlag, 1956, cité in Rusch H.-P., La fécondité du sol, op. cit. (Bibliographie).

[63Cf. Vogt G., Entstehung und Entwicklung des ökologischen Landbaus im deutschsprachigen Raum, op. cit., (chapitre 5).

[64Le concept est apparu en 1966. Le Robert emploie l’expression « matière vivante » dans sa définition du mot « biomasse » : « Masse de matière vivante, animal ou végétal, subsistant en équilibre sur une surface donnée du globe terrestre ».

[65Rusch H.-P., La fécondité du sol, p. 70.

[66Sur ce point, voir également Pain, J., Landbau als Kulturkritik. „Boden« als Kristallisationspunkt gesellschaftsreformerischer Bestrebungen alternativer Landbaubewegungen Deutschlands und der Schweiz, Communication donnée lors de la Journée d’Etude L’agriculture biologique, ferment du développement écologique ?, Université de Technologie de Troyes, 23 06 2005 (Organisation : Association pour la Philosophie, l’HIstoire des Fondements, et l’Avenir de l’Agriculture Biologique (APHIFAAB) et Yvan Besson ; Actes à paraître en 2007, cf. http://monsite.orange.fr/aphifaab).

[67Rusch H.-P., La fécondité du sol, ibid., p. 70-71.

[68Ibid., p. 79, 83, et plus généralement, p. 79-92, ainsi que tout le chapitre sur la substance vivante, la loi de son maintien, son cycle, p. 61-75. (Il faut aussi noter que la substance vivante serait un métabolisme ou un phénomène originel « au sens goethéen du terme »… (p.79)).

[69Cf. Vogt G., Entstehung und Entwicklung des ökologischen Landbaus im deutschsprachigen Raum, chapitre 5, ibid.

[70Ibid., p. 214-215. Pour cet épisode de l’histoire de la biologie, Gunter Vogt fait référence à Keller, 1990 ; Zallen, 1993 ; Rasmussen, 1995 ; Rheinberger, 1995.

[71Vogt G., Entstehung und…, ibid.

[72Pain J., Landbau als Kulturkritik. „Boden« als Kristallisationspunkt gesellschaftsreformerischer Bestrebungen alternativer Landbaubewegungen Deutschlands und der Schweiz, op. cit.

[73Ibid.

[74Rusch H.-P., La fécondité du sol, p. 58. Je souligne.

[75Ibid., p.143-146.

[76Ibid., p.143.

[77Cf. La fécondité du sol, p. 145.

[78Ibid., p. 100.

[79Cf. p. 146-147, où l’auteur explique un peu l’équivalence de sens des deux expressions.

[80Rusch H.-P., La fécondité du sol, p. 148.

[81Ibid., p. 149.

[82Cf. La fécondité du sol, p. 147.

[83Les autres fondateurs n’allaient pas si loin dans la remise en cause de la perspective admise concernant la nutrition minérale. Cf. par exemple Howard, Testament agricole, p. 35 et 67.

[84La fécondité du sol, ibid., p. 79.

[85Ibid., p. 143 et 145.

[86Ibid., p. 145.

[87Ibid., p. 147.

[88Ibid., p. 148. Rusch ne donne pas de précision quant au test du dénommé Kölher, lequel n’apparaît pas dans la bibliographie.

[89Ibid., Rusch, H.-P., ibid., p. 172.

[90Ibid., p. 172

[91Ibid., p. 175

[92Ibid.

[93Ibid.

[94Ibid., p. 176.

[95Voir ses tableaux de chiffres classant la fertilité de plusieurs « substrats » et engrais en fonction de plusieurs techniques de comptages cellulaires, à la page 177.

[96Ibid., p. 150-151.

[97Ibid., p. 151-152.

[98Ibid., p. 152-153.

[99Ibid.

[100Ibid., p. 206.

[101Cf. par exemple Rusch H.-P., La fécondité du sol, ibid., p. 84 et 309.

[102Il s’agissait d’un sol très léger, « extrêmement perméable, sous-sol absorbant, teneur en sable très élevé, végétation arbustive pauvre et rabougrie, utilisé pour la production d’asperges ; nappe phréatique à 18 mètres de profondeurs. Au début de l’expérience, le sol, partiellement à nu, ne portait que de rares mauvaises herbes, et donnait des nombres de cellules extrêmement faibles (6-15 !) ».

[103La fécondité du sol, ibid., p. 213.

[104Ibid., p. 214.

[105Ibid.

[106Ibid., p. 215.

[107Une rupture affirmée à la page 286.

[108La fécondité du sol, ibid., p. 214.

[109Ibid., p. 149.

[110Ibid., p. 182.

[111Ibid., p. 150.

[112Ibid., p. 182-183.

[113On trouve le résumé des positions de Rusch sur le travail du sol et la critique du labour aux pages 280-283.

[114La fécondité du sol, ibid., p. 183.

[115Ibid.

[116Fukuoka M., La révolution d’un seul brin de paille, p. 44.

[117Ibid.

[118Ibid., p. 42.

[119Il dit que son père fut « atterré » par sa démarche et que les « autres membres de la communauté » villageoise le considéraient comme un excentrique (cf. RBP, ibid., p. 42).

[120RBP, ibid., p. 45.

[121Il s’agit toujours d’un principe guide de l’agriculture biologique, comme en témoigne un document récent de l’IRAB/FIBL (cf. w.fibl.org/français/publications/manuel/pdf [visite de 10/2006]).

[122RBP, ibid., p. 46.

[123Ibid., p. 45.

[124Ibid., p. 190.

[125Ibid., p. 48-50.

[126Fukuoka M., L’agriculture naturelle, p. 307.

[127Korn, L., Introduction, in La révolution d’un seul brin de paille, p. 18.

[128Vogt G. Entstehung und Entwiclung des ökologischen Lanbaus, p. 290-292.

[129Et elle semble importante pour comprendre le sens précis que la nature a chez les japonais, comme en témoigne le titre du livre consacré par Augustin Berque à ce sujet (cf. Berque A., Le sauvage et l’artifice, Les japonais devant la nature, Gallimard, NRF).

[130Cf. Mennessier M., L’Amérique abandonne la charrue, in Le Figaro, 19 novembre 2005. La culture en semis direct représente maintenant 15 % des surfaces arables américaines, avec de grands bénéfices pour l’environnement.

[131La révolution d’un seul brin de paille, p. 49. Dans cette même page, l’auteur revient sur le succès médiatique que son travail a eut au tournant des années 1970 et 1980 : à cette époque, « Journalistes, professeurs, chercheurs techniques viennent en foule visiter mes champs et les cabanes de la montagne ».

[132On peut trouver surprenant que Masanobu Fukuoka utilise cette expression, à moins qu’il ne s’agisse d’un problème de traduction. Les agrobiologistes ont tendance à préférer le terme de « ferme », plutôt que le terme « exploitation », pour désigner leurs entreprises, contre l’oubli de la dimension de « culture » des terres qui doit précéder et accompagner le travail de récolte. (Cf. Fukuoka M., La Voie du Retour à la Nature, p. 249-256).

[133La révolution d’un seul brin de paille, op. cit., p. 98-100. Larry Korn ajoute : « M. Fukuoka insiste sur le fait que le meilleur contrôle des maladies et des insectes est de cultiver des récoltes dans un environnement sain » (Korn L., Introduction, in La révolution d’un seul brin de paille, ibid., p. 21).

[134Piriou S., L’institutionnalisation de l’agriculture biologique, 1980-2000, Thèse de doctorat de l’ENSAR, 2002, op. cit., p. 126.

[135Ce que confirme Larry Korn : « M. Fukuoka récolte entre cinquante et soixante quintaux de riz à l’hectare. Ce rendement est approximativement le même que celui produit tant par la méthode chimique que traditionnelle dans sa région. Son rendement en céréales d’hiver est souvent supérieur à celui de l’agriculteur traditionnel ou chimique, qui tous deux utilisent la méthode culturale du sillon » (cf. Korn, L., Introduction, in RBP, p. 20).

[136On retrouve une méthode assez semblable (avec des sillons) prônée par Howard, avec succès, dans l’agriculture manuelle de la canne à sucre (cf. Howard A., Testament agricole, p. 187-203, plus particulièrement p. 191-192).

[137La révolution d’un seul brin de paille, op. cit., p. 86-87.

[138Ibid., p. 87-88.

[139Les agriculteurs biologiques résument cette démarche en invitant à protéger la faune et la flore auxiliaire des champs.

[140Ibid., p. 88.

[141Ibid., p. 88-89.

[142Les plus jeunes du mouvement d’Hans Müller, vers la fin des années 1960, introduisirent le désherbage thermique dans l’agriculture biologique, contre l’opinion du fondateur.

[143Cette question du moment propice aux semis dépend des conditions climatiques et botaniques locales. Dans la région où habite M. Fukuoka, il y a « des pluies de printemps d’une régularité absolue et un climat assez doux pour faire pousser des légumes en toute saison. Avec le temps, il est arrivé à savoir quels légumes cultiver parmi quelles mauvaises herbes, et quelle sorte de soins chacun réclame ». Pour la plupart des régions d’Amérique du nord, Larry Korn considère que la méthode de M. Fukuoka pour les légumes n’est pas reproductible comme telle : « C’est à chaque agriculteur qui voudrait cultiver des légumes de manière semi-sauvage de développer une technique appropriée à la terre et à la végétation naturelle » (cf. Korn L., Commentaire de bas de page, in La révolution d’un seul brin de paille, ibid., p. 91). Notons néanmoins que le moment propice découvert par M. Fukuoka correspond aux fins des cycles des adventices : « Pour les légumes de printemps le bon moment est quand les mauvaises herbes d’hiver commencent à mourir et juste avant que les mauvaises herbes de printemps aient germé. Pour les semailles d’automne, les graines doivent être jetées quand les herbes d’été se fanent et que les mauvaises herbes d’hiver n’ont pas encore fait leur apparition » (cf. RBP, ibid, p. 91).

[144RBP, ibid, p. 91-92.

[145Cf. la photo du « traditionnel tambour à pédale », dans La révolution d’un seul brin de paille, p. 75.

[146RBP, ibid, p. 137-138.

[147Cf. la définition de l’agronomie dans l’Encyclopaedia Universalis.

[148Dans plusieurs villages d’Inde, notamment.

[149RBP, ibid, p. 86.

[150Mollison B. et Holmgren D., Permaculture 1, Debard, 1986 (1978), 180 p., p. 22.

[151Cf. Mazoyer M. et Roudart L., Histoire des agricultures du monde, op. cit., p. 56.

[152Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement.

[153Sur ces questions, voir notamment Liagre F., L’agroforesterie peut-elle intéresser les agriculteurs biologiques ?, Communication à la journée d’étude L’agriculture biologique, ferment du développement écologique ?, Université de Technologie de Troyes, 2005 (Organisation : APHIFAAB et Yvan Besson).

[154Fukuoka M., RBP, op. cit., p. 49.

[155Pour donner un peu plus de vraisemblance à la thèse de la popularité de M. Fukuoka, rappelons qu’il habite et travaille sur l’île de Shikoku, considérée comme le sanctuaire spirituel du pays.

[156Cf. supra, § 141.

[157Après la question de la nature, le thème de l’arbre forme comme une seconde toile de fond de l’œuvre fukuokienne. Il est de plus en plus thématisé dans ses ouvrages successifs. Cf. notamment La révolution d’un seul brin de paille, p. 37, 83-89 ; L’agriculture naturelle, p. 10-11, 128-129, 160-163, 221 ; La Voie du Retour à la Nature, p. 41-42, 44-47, 80-81, 99-100, 129, 178-184.

[158Fukuoka M., La Voie du Retour à la Nature, op. cit., p. 100.

[159Cet ami de Masanobu Fukuoka l’avait accompagné lors de son premier voyage en Europe, en 1983 (cf. Fukuoka, M., La Voie du Retour à la Nature, p. 77).

[160Cf. ww.mir.org/greenbelt/english/index.htm [visite de 09/2006].

[161Maathai W., Pour l’amour des arbres, Ed. l’Archipel, Paris, 2005, 164 p. ; Maathai W., Un prix Nobel de la paix pour la planète, in l’Ecologiste, 2004, vol. 5, n° 03, p. 06-07.

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