Fertilité et matière organique des sols : la piste du BRF

Mardi 11 novembre 2008

Réconcilier l’agriculture avec les mécanismes forestiers qui lui ont souvent donné ses terres.

La nature du BRF et la rationalité du rapprochement agriculture et sylviculture qu’il implique.

Le BRF, abréviation de bois raméal fragmenté, correspond aux rameaux des branches d’arbres et arbustes de préférence inférieurs à 7cm de diamètre, broyés afin de casser la barrière de l’écorce, ce qui permet aux micro-organismes du sol d’attaquer rapidement la lignine et les autres substances à l’intérieur de la branche.

Des petites branches broyées épandues…

Les recherches menées jusqu’ici n’ont pas permis de déterminer si certaines essences présentaient des avantages ou des risques particuliers lorsque leurs branches sont utilisées comme amendement BRF. La prudence de certains recommande de ne pas utiliser plus de 20% de résineux dans le BRF apporté.

…des BRF que les champignons aiment
Amendement de BRF à l'épandeur à fumier.

On épand (à l’épandeur à fumier, par exemple) de 1 à 3cm de BRF, ce qui correspond à une dose de 100 à 300 m3 à l’hectare.

On incorpore ensuite les branches broyées dans les premiers centimètres du sol, par exemple avec un outil animé à axe horizontal, type fraise à couteaux droits. Selon Gilles Lemieux, la périodicité de l’épandage pourrait descendre ensuite autour de « 25 à 50 m3 à l’ha tous les trois ans afin d’entretenir l’effet ».

Incorporation du BRF

Cette approche et cette technique semble bien complémentaire des techniques culturales simplifiées (TCS), de l’agroforesterie, de l’agriculture biologique. Mais elle est aussi directement utilisable en agriculture conventionnelle.

Ce n’est pas la panacée mais un outil fort dans la perspective d’une agriculture intensive, écologique et durable.

L’idée centrale que j’offre à votre réflexion et à votre audace est la suivante : il y a une rationalité forte, une cohérence étonnante, à viser l’organisation du travail agricole sur la base d’un rapprochement et d’une articulation de celui-ci avec la sylviculture.

Du point de vue scientifique, on sait que la plupart des sols agricoles fertiles de la planète viennent de la forêt qui les a précédés. Ce fait tout simple devrait nous inciter humblement à la réflexion.

Ainsi, du point de vue philosophique, la découverte des BRF gagne une grande portée lorsqu’elle est resituée à l’échelle des rapports humanité et nature. La plupart des bonnes terres agricoles sont la résultante des défrichements, effectués et maintenus par les multiples générations successives des peuples agricoles, depuis la révolution néolithique. Ramener de la matière forestière aux terres agricoles pourrait donc « aider ces sols à se rapprocher de leur fonctionnement naturel ». Reste à déterminer pourquoi les branches, et les plus petites, seraient plus « efficaces » que la matière des troncs, par exemple. On peut aussi se demander, même si la ressource est plus difficile d’accès (!), si les racines broyées peuvent autant contribuer à la fertilité des sols.

Un autre point plaide pour un regard agricole tourné vers la logique forestière : le fait que les humus d’origine forestière ont une stabilité et une durée de vie bien supérieure à ceux d’autre origine. Ainsi, au-delà d’un discours vague sur le rôle de la matière organique dans la dynamique des sols et de la productivité agricoles, il faut distinguer les qualités de matière organique apportées aux sols.

Avantages et problèmes de la culture sur BRF

Le BRF est amendement propre et naturel de premier ordre. Il participe grandement à l’humification, c’est le meilleur moyen d’apporter massivement du carbone aux sols agricoles. Outre le carbone, il contient aussi des nutriments et des oligo-éléments qui permettent de rééquilibrer le sol. Il stimule la vie du sol. Il améliore la structure et la porosité du sol, diminuant les risques d’érosion et aidant à lutter contre la sécheresse. Il aide les plantes à lutter contre les maladies. Grâce à un circuit biologique, il permet de mieux gérer les lisiers et l’azote en général. La première année qui suit l’épandage demande de lutter contre l’immobilisation de l’azote pour éviter une baisse de rendements. Mais il offre ensuite des hausses de rendement. Passons quelques-uns de ces points en revue.

Plus de carbone pour nos sols

Comparé au fumier de ferme, au compost de déchets verts, aux engrais verts intercalaires, le BRF est aujourd’hui le moyen connu le plus efficace pour relever le taux d’humus des sols. A titre d’exemple, avec un épandage annuel de 21 tonnes de fumier ou de 23 tonnes de BRF à l’hectare, il faudra, pour augmenter le taux d’humus de 1% sur les trente premiers centimètres du sol, 67 ans avec le fumier et seulement 10 ans avec le BRF. Un autre avantage du BRF, cette fois ci par rapport au compostage, se situe au niveau de l’énergie. Le compostage induit des fermentations et un dégagement de chaleur qui peut entraîner jusqu’à 70 % du carbone des matériaux compostés dans l’atmosphère. Tandis qu’un apport direct du BRF au sol fait que toute l’énergie qu’il contient alimente la vie du sol. De plus, cette humification à même le sol favorise la stabilité du sol en contribuant à la construction des complexes argilo-humiques.

Banque à nitrates pour les plantes

Lorsque les micro-organismes disposent d’assez de carbone, avec le BRF, ils se développent et immobilisent une partie de l’azote dans la couche superficielle du sol. Durant la première année qui suit l’épandage, se développe autour du BRF un véritable filet capable de piéger une proportion de l’azote disponible. Ce filet est constitué par le mycélium des champignons. Plus l’on épand de BRF et plus les mailles du filet sont serrés. Après un an, le filet de champignons immobilise tout l’azote disponible, mais paradoxalement les plantes ne manquent de rien. Ce phénomène peut être exploité pour réduire les pertes d’engrais et limiter la pollution par les nitrates des eaux souterraines. En effet, grâce au BRF, nous pouvons déterminer un apport connu de carbone et prévoir la quantité d’azote qui sera « mise en banque » par les organismes du sol. La quantité d’azote mis en banque par le BRF est une proportion constante de l’azote libre, cette proportion peut être calculée sur base du nombre de m3 de BRF épandu. Cette proportion d’azote mise en banque est de 25 % + 8 % / 100 m3 de BRF. L’incorporation de BRF au sol permet aussi, selon les travaux de B Noël menés au Centre des Technologies Agronomiques de Strée, entre 2002 et 2005, une certaine stabilisation du sol ayant aussi pour conséquence de nous offrir une connaissance nouvelle, celle de l’évolution de l’azote dans le sol.

Eponge humique pour lutter contre la sécheresse, biostimulation, diminution des maladies

Au niveau de la consommation d’eau, les résultats sont aussi intéressants, puisque l’on a observé une économie de 50 % d’eau sur les tomates au Sénégal. Cela est certainement du en grande partie à la capacité éponge du bois. A partir d’observations sur des vignobles en Espagne, Claude Bourguignon confirme ce phénomène important, à l’heure où l’on annonce plus de la moitié de la population mondiale souffrant de pénurie d’eau d’ici 2025. Le BRF est également un excellent biostimulant pour la vie du sol. Il est un aliment de choix pour les organismes du sol, en favorisant particulièrement les champignons, les actinomycètes, et les bactéries. Il est aussi classique de voir apparaître des populations importantes de vers de terre dans les sols traités au BRF. Augmenter le taux de matière organique des sols permet une diminution des maladies. Au Canada, on a observé, sur une culture de fraises, que les pucerons épargnaient systématiquement les parcelles traitées au BRF et non le témoin. Au Sénégal, on a remarqué qu’un traitement au BRF protégeait efficacement la tomate amère contre les nématodes. L’effet nématicide peut persister sur deux ans. Parmi les causes supposées de ces phénomènes phytosanitaires, on avance la concurrence plus importante entre micro-organismes non pathogènes et micro-organismes pathogènes.

Rendements et gestion des nutriments en première année de culture

On a déjà observé des augmentations de rendement, qui peuvent êtres parfois spectaculaires, suite à l’épandage BRF. Voici certains résultats à considérer avec prudence - l’état des sols témoins était-il très dégradé ? - : + 45 % de masse de seigle en Ukraine ; + 300 % de masse de fraises au Canada ; + 400 % de masse de maïs en Côte d’Ivoire et en République Dominicaine ; +1000 % de masse de tomates au Sénégal…

La principale difficulté avec le BRF semble liée à l’immobilisation de l’azote en première année. Les organismes du sol attaquent le BRF, surtout les champignons, et utilisent l’azote du sol pour cela, au détriment des plantes cultivées. On y pare en épandant de l’azote ou en installant en première année une culture de légumineuse. Au bout d’un an le cycle biologique à partir des BRF est lancé, on observe une plus grande disponibilité des nutriments essentiels et de l’azote pour les plantes. Sans ces précautions, il faut s’attendre à des baisses de rendements en première année. En revanche, une complémentarité idéale semble se produire entre épandage de BRF et implantation d’une légumineuse : les légumineuses fixent l’azote de l’air et le BRF celui du sol. L’essai luzerne de Benoît Noël sur BRF a permis une meilleure implantation de la luzerne en limitant la flore adventice. En effet, « le BRF incorporé un peu avant le semis de luzerne a immobilisé l’azote minéral, ce qui a considérablement gêné les adventices nitrophiles mais pas la légumineuse. Au final, tant les rendements que les prélèvements en azote de la luzerne ont étés très supérieurs sur les blocs traités au BRF ». Benoît Noël m’a ainsi confié avoir obtenu « 170% du rendement de ma luzerne témoin, sur la luzerne traitée au BRF, en première année, sans aucun désherbage ni engrais ». Derrière ce précédent BRF + légumineuse, le même expérimentateur a obtenu des augmentations de rendement sur maïs entre +5 et +25%.

Besoin de recherches sur le matériel de broyage

A côté de très gros engins de 200 à 300 cv que l’on peut louer à des CUMA, il existe des machines très robustes et efficaces attelables sur prise de force de tracteurs de 80-90 cv et broyant 30 à 80 m3/heure de BRF, pour des prix probablement de l’ordre de 30 000 à 50 000€. Cependant, pour l’instant, il n’existe pas encore d’études consacrées à la destination agricole du broyage forestier (diamètres des branches…). Il est difficile de comparer les matériels disponibles sur le marché car il n’y a pas d’unité de mesure et d’évaluation commune, ni de label de qualité de ces broyeurs. Certains marchands s’expriment en « unité de branches », d’autres en « m3 apparent de plaquettes », d’autres en « volume de branches brutes qui divisé par 7 donnerait le volume broyé »… D’autres, encore, estiment la capacité de leur broyeur en rapportant la surface d’entrée de la machine à la vitesse des rouleaux. On entend beaucoup de « ça dépend », qui montrent que l’on a affaire à des évaluations encore « très théoriques » ou que les vendeurs ne savent pas vraiment. Cela ne peut satisfaire une enquête scientifique qui veut des chiffres validés et une validation officielle des performances de ces différents broyeurs. Il est également important d’étudier la performance des différents broyeurs dans une optique économique globale. Par exemple, la bioéconomie de R. Passet ou N.-G. Roegen nous invite à raisonner en terme d’énergie : combien de calories consommées pour faire fonctionner ce matériel, pour combien de calories produites. Dans cette optique, si le chantier de broyage est important et bien organisé, le recours aux gros broyeurs peut apparaître plus écologique (moins de carburant consommé par m3 de BRF produit).

Aller plus loin et participer à la recherche sur le BRF

En conclusion, après l’agrochimie, une nouvelle révolution agronomique semble se dessiner autour de l’agroforesterie, mais aussi avec les TCS et les semis sur couvert.

Nous renvoyons aux sites « Les jardins de BRF », à celui de "L’association française d’agroforesterie", à celui de "L’agriculture de conservation" pour les infos récentes et la bibliographie.

Vous pouvez aussi lire la dernière partie de ma thèse pour comprendre comment la question de l’arbre en agriculture a interrogé les fondateurs de l’agriculture biologique. Mais vous pouvez aussi pousser et/ou participer directement aux développements d’essais rigoureux et scientifiques sur les effets des BRF en agriculture et jardinage : télécharger la fiche d’expérimentation mise au point par le collectif BRF Rhône-Alpes.

Fiche de suivi des essais BRF
Rapportez vos résultats d’expérimentation pour faire avancer la recherche vers l’agriculture et le jardinage écologique.

Documents à télécharger

  • Fiche de suivi des essais BRF (PDF, 27.5 kio)
    Rapportez vos résultats d’expérimentation pour faire avancer la recherche vers l’agriculture et le jardinage écologique.

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